Chapitre Un

4.1K 351 23
                                    

Assise sur mon siège, je me tortille pour la millième fois et soupire. Quatre heures déjà que je m'y trouve et rien n'a changé, si ce n'est le vieux rondouillard qui a pris la place de la petite fille blonde face à moi. Le lieu est bruyant, bien trop pour une fille comme moi qui raffole du calme et de la tranquillité. Oui, l'endroit ne se prête effectivement pas à ça. Un aéroport n'est peut-être pas le meilleur lieu pour râler. Mais le fait que ce fichu avion ait trois heures de retard ne m'aide pas.

J'ai de plus en plus de mal à aimer le système français. Trop de grèves, trop de râleurs, trop de faux sourires et bien-sûr, trop de gros machos à deux balles. Oui, je l'ai récemment appris à mes dépends : les français ne sont pas les plus charmants en matière de flirt. Tout ce que j'ai gagné en deux mois à Paris, c'était un rendez-vous sous la Tour-Eiffel qui avait viré au cauchemar et des accostages de plus en plus mauvais. Bien que je viens régulièrement en France pour voir ma famille, l'Australie me manque beaucoup.

Deux semaines après la fin de mes études de droit, j'avais embarqué déjà, au plus grand damne de mes parents, dans l'avion qui me conduirait à ma nouvelle vie, une bien meilleure que la précédente. Je ne dis pas que je ne suis pas heureuse ici, non. Mais la rêveuse qui sommeille en moi n'attendait que de pouvoir s'envolait à l'autre bout du monde pour espérer de nouvelles opportunités. Et j'ai réussi. La petite Rosie Meyer de la faculté de droit est maintenant une avocate débutante, aussi bien en France qu'en Australie. Les deux cabinets dans lesquels je travaille, l'un à l'opposé de l'autre me conviennent bien. Et il faut dire que je serai incapable d'en choisir un à l'autre. Certes, j'ai beaucoup critiqué la France. Mais j'y ai grandi et ai de nombreuses personnes qui comptent pour moi là-bas : mes parents, mon frère mais aussi mes meilleurs amis. Jamais je ne suis parvenue à me débarrasser d'eux tout comme ils n'avaient réussi avec moi.

Alors que j'ai toujours les mains dans mes longs cheveux bruns, mes yeux scannent le hall comme des caméras. Toutes les personnes qui comme moi attendent un vol pour Sydney semblent au bout de leur vie. Et je ne peux que les comprendre. Voilà un bon moment que nous avons tous entendu cette nouvelle au travers des haut-parleurs de l'aéroport : nous sommes tous bloqués ici en raison d'orages trop importants pour décoller. Même l'homme habillé d'une chemise hawaïenne parait s'impatienter.

- Je vais mourir.

Mon regard ne cesse les aller-retour entre le tableau d'affichage et le carrelage de la salle. Le temps passe, personne ne nous a donné de nouvelles depuis plus de deux heures, autant dire que je suis au bord de la crise de nerf. Mon employeur m'attend pour dix-heures du matin ce mardi, ce qui signifie qu'avec les vingt heures de vol, je ne suis pas sortie de l'auberge.

- Vous voulez bien arrêter de râler ? J'entends et fronce les sourcils devant l'écran de mon téléphone.

Quand je relève enfin la tête, toutes les personnes présentes observent un homme à qui je n'ai, jusque là, pas réellement fait attention. Ses bras croisés contre son torse, ses lunettes de soleil coincées sur son nez, il hausse un sourcil et pinçe ses lèvres, certainement pour contenir son énervement.

- Qu'est-ce que ça peut vous faire que je râle ? Je lui réponds du tac-au-tac.

- On est tous dans la même galère. Alors vos idioties, vous pouvez les garder pour vous.

- Je pense que je suis assez grande pour me gérer, vous savez ?

Sans blague, j'ai vingt-neuf ans. Je pense que je suis capable de savoir ce que j'ai ou non le droit de faire.

Un rictus au coin des lèvres, le châtain enlève ses lunettes et me laisse à présent le loisir d'observer ses yeux dont je ne parviens pas à déterminer la couleur de mon siège. Le sien est situé à un dizaine de mètres de moi, ce qui ne m'aide pas. Autour de nous, personne ne parle, les gens se contentent de suivre notre petite guerre en silence.

- Dites Miss Râleuse, j'aimerais juste que vous arrêtiez de pousser des soupirs toutes les deux minutes.

Mon tempérament m'oblige aussitôt à répondre.

- Venant d'un râleur à deux balles, je pense que vous devriez vous taire avant de prononcer encore une stupidité. Je ne sais pas pour qui vous vous êtes pris, mais les mecs comme vous ne m'intéressent pas.

- Vous prenez ça pour de la drague ?

- Ça n'en est pas peut-être ?

- Désolée de toucher votre égo mais malheureusement pour vous, non, je n'étais pas en train de m'intéresser à vous. J'essayais juste de dire tout haut ce que tout le monde ici pense tout bas.

Éreintée, je lève les yeux au ciel et me concentre à nouveau sur mon mobile. Non mais sérieusement, c'est qui ce type ? Et puis d'abord il croit quoi ? Qu'il m'intéresse ? Non mais non. J'ai assez donné dans des relations tout au long de l'année, ce n'est pas pour qu'il prenne la confiance maintenant. Le dernier mec avec qui je suis sortie s'était avéré être un parfait connard et je n'ai certainement pas envie de revivre ça. Surtout que lui a l'air mal poli.

Reçu aujourd'hui à 19h21 : Juliet m'a prévenu pour votre éventuel retard. Tâchez de faire le plus rapidement possible. N'oubliez pas que votre nouvel associé vous attend. - Richard

Décidément, je me suis mise à dos l'univers. Voilà que maintenant même mon patron en rajoute une couche. Des mois qu'on parle d'un nouvel arrivant et bien-sûr, il doit faire son apparition pendant mon absence celui-là.

Nous serons désormais trois dans notre grand bureau d'avocats : Juliet, ce fameux nouveau et moi. Je connais la première depuis mon arrivée en Australie soit depuis un peu moins d'un an et il ne se passe jamais une journée sans que nous ne trainions ensemble, dans les rues à la recherche de nouveaux magasins. Je ne suis pas le genre de personne qui peut rester dans des boutiques toute la journée. Mais un moment entre amies ne m'a jamais fait de mal, surtout avec Juliet.

Alors que je réponds au grand patron, une annonce se fait dans les haut-parleurs.

- À tous les passagers du vol Emirates en direction de Sydney. Veuillez vous rendre au centre d'embarquement. Veuillez vous rendre au centre d'embarquement. Merci.

Comme mes camarades d'avion, je me lève enfin de mon siège, soulagée, et rejoints l'avion que j'attends depuis des heures déjà.

Un Avion Pour RosieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant