Un Avion Pour Rosie

Chapitre Six

Mes lunettes sur le nez, j'installe mon ordinateur sur mon nouveau bureau, fraichement construit. Je viens de m'installer dans ce nouveau cabinet d'avocat dans le centre de Paris et même si je déteste la capitale, mon envie de revoir ma famille était devenue trop importante. Alors après deux ans de phobie continuelle du moyen de transport maudit, j'avais embarqué pour une nouvelle aventure.

J'ai donc quitté ma grande Australie pour ma petite France, pour le plus grand bonheur de mes parents qui avaient hâte de me revoir.

En deux ans, ma vie a décidément bien changé. Enfin beaucoup de choses ont changé sauf une qui reste scotchée à ma peau, à mon doigt plus précisément.

Pour la centième fois de la journée, je vérifie qu'elle est toujours là, à mon annuaire, la bague qu'il m'a fait promettre de garder. Et je tiens toujours mes promesses.

- Mademoiselle Meyer, votre rendez-vous de onze heures quarante cinq.

Lorsque une vieille dame entre dans mon bureau, je relâche l'anneau et me lève pour la saluer.

La journée est loin d'être terminée.

* * *

Quarante minutes plus tard, Madame Delene sort enfin de mon bureau, après avoir fini de revoir les termes de la succession de son mari et d'elle-même.

J'attache mes cheveux courts bruns et soupire. Un nouveau rendez-vous a lieu dans cinq minutes, j'ai tout juste le temps d'en voir les éléments principaux. Un simple divorce qui doit amener à la garde de l'enfant mineur par le père. J'adore ce type d'affaire, ça change grandement des affaires d'héritage ou d'entreprises.

Mon secrétaire ouvre la porte de mon grand bureau luxueux pour la troisième fois de la matinée et me signale l'entrée de mon rendez-vous. Quand des pas se font entendre dans la pièce, je relève la tête du dossier et croise le regard noir d'un type, certainement le papa et futur divorcé si j'en crois ses cernes. Il est suivi de près par un homme aux cheveux châtains, plongé dans la lecture de son carnet. Oh j'aime encore plus cette affaire ! Un mec qui divorce de sa femme pour se marier avec un autre mec !

Pourtant quand ses yeux bleus rencontrent les miens pour la première fois depuis deux ans, je prie pour que cette hypothèse ne soit fausse. Ses sourcils froncés me laissent penser qu'il ne m'a pas encore reconnu, une chance pour moi d'avoir coupé mes cheveux et d'avoir pris quelques rides du visage.

Malheureusement pour moi, ses beaux yeux s'ouvrent largement et sa bouche reste entrouverte pour quelques grandes secondes, ses lèvres si douces dans mes souvenirs.

Je reste un instant perturbée par la situation mais reprends bien vite le contrôle. Hors de question que je laisse sa venue dans mon bureau changer le cours de mon travail.

- Bonjour Monsieur Fuller, je suis-

- Oui je sais, le type soupire et ne prend même pas la peine de serrer ma main quand je lui tends, Rosie Meyer, ma nouvelle avocate, spécialisée dans les affaires familiale.

- Euh oui voilà, j'essaie de rester calme mais mon envie de le claquer devient plus grande de minutes en minutes.

Il s'installe sur le siège devant mon bureau et croise ses bras. Face à moi, mon ancien voisin de siège n'a pas effectué un mouvement, avant de me tendre la main.

- Bonjour, il murmure et je serre sa main doucement de ma main droite, les souvenirs revenant à moi.

- Bonjour.

Pour reprendre de la prestance, je me racle la gorge et m'assois sur ma chaise en cuir. Les deux hommes me font maintenant face tandis que je cache mes mains sous mon meuble en bois pour tripoter la bague, nerveuse.

- Bien, j'ai regardé votre dossier et les papiers que vous avez rempli. Tout a l'air parfait hormis le fait que Madame Fuller doit être présente ici pour finaliser la garde de votre fille.

- Ne l'appelez pas Madame Fuller, c'est clair ? Elle a arrêté de porter ce nom le jour où elle a joué avec la langue de son collègue.

Je ferme les yeux deux secondes et canalise ma colère. Ne pas frapper, Rosie.

- Tu veux pas arrêter d'être énervant comme ça ? Le châtain soupire et lui jette un regard noir. Et parle lui mieux, c'est clair ? Rosie ne t'a rien fait de mal, au contraire. C'est contre toi que tu dois être en colère, c'est toi qui n'a pas voulu nous écouter quand on t'a prévenu avant votre mariage.

Ses yeux bleus me sondent et je tente de faire diversion en tendant au futur divorcé le papier pour la garde de son enfant. Pourtant alors que je lui explique la procédure, ses yeux font des aller-retour entre son ami et moi et il finit par poser la question qui fait définitivement mal tourner ce rendez-vous.

- Attendez c'est vous Rosie ? La Rosie de l'avion ? Putain...

Je me racle à nouveau la gorge et continue mon explication sans jamais relever la tête des documents. Je cache au maximum ma main gauche et finis par tendre au presque quarantenaire l'attestation.

- Obtenez sa signature et votre fille sera sous votre garde, officiellement.

Finalement, il saisit la feuille et me remercie, faiblement. L'écran de mon ordinateur indique treize heures, je vais devoir renvoyer rapidement ce rendez-vous.

- Je vous invite à reprendre rendez-vous auprès de mon secrétaire pour finaliser la procédure.

Je me lève de mon fauteuil et fais le tour du bureau vers la porte, tout en plissant ma robe bordeaux. J'entends les deux hommes me suivre et les laisse sortir, non sans regarder tristement son dos s'éloigner de moi. Je les salue et referme brusquement la porte, me précipitant au centre de ma pièce pour faire les cent pas. Les larmes dévalent mes joues tandis que je regarde la bague à mon annuaire. En deux ans, je ne l'ai jamais enlevé. Même pas à l'hôpital.

Soudainement, ma porte s'ouvre et j'ai tout juste le temps de me retourner avant que ses lèvres ne viennent se poser sur les miennes. Ses mains attrapent mes petits doigts et il nous fait reculer jusqu'à percuter la tranche de mon bureau. Ma robe remonte légèrement quand il vient saisir mes hanches pour me rapprocher de lui. Mes doigts viennent se perdre dans des cheveux plus courts qu'avant. La sensation de sa langue dansant avec la mienne n'a pas changée, j'ai l'impression de revenir deux ans en arrière dans cet engin de la mort.

L'homme de mes pensées cherche mes mains et lorsqu'il finit par les saisir, ses lèvres quittent les miennes et son front vient se poser contre le mien. Mes cheveux bruns doivent certainement être emmêlés maintenant.

- Tu l'as gardé, il murmure et je sens son pouce caresser mon annuaire gauche.

- Je te l'ai promis, je souris tristement et chasse mes larmes. Mais si tu veux la récupérer je comprendrai.

- Pourquoi je ferais une chose pareille ? Il accentue l'espace entre nous sans jamais me lâcher.

- Elle la mérite, j'en suis sûre...puisqu'elle a réussi a-

- Tromper mon meilleur ami, il termine et je hausse un sourcil. Tu croyais que cette bague était pour mon propre mariage ?

- Je...ça n'a jamais été mis au clair alors...

- Me marier n'était pas vraiment dans mes projets, tu sais ? Enfin c'était avant de te rencontrer...