Simon sortit de sa salle de classe à grands pas. Il avait la tête rentrée dans les épaules, les poings serrés, et le dos courbé. Il était énervé ; beaucoup de ses camarades avaient passé la journée à l'interpeller pour se moquer de lui ou lui expliquer qu'aux Jeunesse Hitlériennes on leur apprenait qu'il était le diable, et que son père voulait du mal aux jeunes allemandes. Il aurait voulu bondir et leur rétorquer que son père les soignait depuis leur naissance et que certains ne seraient même plus là sans lui, mais il avait promis, et Simon avait horreur de briser une promesse. Alors il était resté assis et avait sagement pris en note ce que leur instituteur essayait vainement de leur inculquer. Il avait eu beaucoup de mal à se concentrer. Le plus injuste avait été la réaction du professeur, il en avait été réellement déçu. Ce dernier avait ostensiblement ignoré les provocations des autres enfants mais avait fortement réprimandé Simon quand il le trouvait déconcentré.
Il se dirigeait vers l'école de Liora, comme chaque jour après la classe lorsqu'il entendit un cri. Il reconnut immédiatement la voix de sa petite sœur. Simon abandonna sa sacoche en cuir et se lança vers l'endroit d'où provenaient les cris et les pleurs. Il courut comme un fou vers sa sœur, l'inquiétude lui donnant des ailes. Quand il arriva, il fut foudroyé. Berthold un ancien camarade de classe et quelques-uns de ses amis été en train de frapper Liora, en larmes et en sang au sol. Elle avait les yeux à demi-ouverts et semblait épuisée. Depuis quand la battaient-ils ainsi ? Il fut pris d'une rage incommensurable à cette vue. Il se rua sur Berthold, et malgré sa faible constitution, le plaqua au sol. Derrière lui, on encourageait l'agresseur. L'on acclamait le blond tandis que le brun se faisait copieusement insulter. Parfois, Simon recevait un caillou ou un morceau de bois trouvé là. Il n'entendit plus les cris derrière lui, il ne voyait pas la foule s'agglutiner autour d'eux. Il était aveuglé par la haine : Berthold avait touché à sa sœur et ça il ne le supportait pas. Envolées ses belles promesses. Ces gens n'étaient pas des idiots à comprendre mais des ennemis. Alors il lança ses poings un peu comme il le pouvait, lui qui ne s'était jamais battu. Il toucha légèrement le blond à la pommette mais bien vite son effet de surprise finit et Berthold riposta. Ses coups étaient précis, efficaces, puissants. Il infligea à Simon un premier coup dans la mâchoire. Sa bouche se remplit de sang, mais sous la rage et l'adrénaline il ne ressentit que peu la douleur. Toutefois il fut surpris de recevoir une riposte et ce bref instant permis au blond de décrocher un puissant crochet du droit dans le ventre et inversa la situation. Berthold coinça les bras de Simon sous ses genoux et lui fit subir une pluie d'attaques. Soudain, les coups de Berthold semblèrent loin, sa tête cotonneuse et ses yeux étaient de plus en plus difficiles à garder ouverts. Au milieu de tout ce chaos, il perçut le chant d'un rossignol. Simon se demanda comment il pouvait continuer de chanter des mélodies aussi joyeuses alors que le monde était si cruel. Puis se fut tout, Simon s'était évanoui.
***
Lorsqu'il se réveilla, il ne sut dire combien de temps il avait été inconscient. Il n'y avait plus personne. Il tourna la tête et vit sa petite sœur, trop faible pour bouger. Alors, il rampa vers elle, se traînant, le cœur brisé. Il se redressa comme il le put le corps meurtri et saisit délicatement les épaules de Liora. Elle gémit de douleur et écarquilla des yeux apeurés, prête à recevoir de nouvelles blessures. Simon l'observa, jugeant comme il le put le corps frêle et tremblant de l'enfant. Elle avait de nombreuses contusions, des ecchymoses se formaient déjà sur sa peau pâle. Sa bouche et son menton étaient couverts de sang qui dégoulinait sur sa gorge. Une plaie ouverte abîmait son front. Elle avait un œil tuméfié tandis que l'autre grand ouvert semblait revivre la scène d'horreur qui s'était déroulée. La peur se lisait dans son regard, dans chaque muscle tendu de son corps. Alors Simon, pour la réconforter, lui déplaça une mèche de cheveux pleine de sang coagulé. Et ce fut à cet instant, la main dans le sang séché de sa sœur, son corps tremblant dans ses bras, qu'il craqua. Il pleura tout son saoul, la berça comme à sa naissance, et il s'excusa. Il s'excusa de ne pas avoir été là, de ne pas l'avoir protégée, il lui expliqua à quel point il s'en voulait.
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Le cri de la Guerre
Historical FictionJanvier 1933, Hitler est nommé Chancelier. Janvier 1933, Simon a dix ans. Il ne comprend pas tout, mais sait que la situation est grave. Simon est un Juif allemand. Il va devoir (sur)vivre et grandir avec ces mots qui lui collent à la peau.