6. L'Ange Noir

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La nuit tombée, le silence était revenu. Désagréable, un bruit que personne ne pouvait percevoir. Les lits alignés témoignaient d'une fatigue partagée. Les ronflements légers déchiraient le calme plat, de manière presque insolente.

Les visages endormis donnaient à voir un spectacle amusant. Les adolescents semblaient plus jeunes, d'une innocence factice mais à laquelle nous pouvions croire. Les yeux clos et les traits détendus. Aspirés dans un monde qu'aucun d'eux ne connaissait, un univers à la fois merveilleux et terrible. Les rêves et les cauchemars s'y côtoyaient, cueillant ces âmes enfantines en plein sommeil. Ils ne pourraient s'échapper, la Lune y veillait pendant son règne synonyme de terreur. C'était l'Enfer personnel de chacun, la nuit le révélait aux yeux de tous et ils en étaient prisonniers.

Un seul dans la vaste pièce ne dormait pas. Silencieux, il laissait cette œuvre sinistre se dérouler sans y prêter le moindre intérêt. Jeonghan attendait, veillait sans même attendre le sommeil. Assis sur son matelas, le menton appuyé contre ses genoux, il regardait droit devant lui, sans rien y voir de précis. Il pensait, laissait les pensées qu'il bridait sans relâche le submerger en cette heure tardive. La nuit avait un effet étrange sur lui et ne pouvait le laisser indifférent. Une solitude profonde encrée dans sa chair, dans son esprit et qui le poursuivait encore et toujours. Il n'avait pas peur de cette nuit qui rongeait la clarté sur cette terre. Cette obscurité n'était rien d'autre qu'une image et ne pouvait rien contre la véritable pureté !

L'Ange écoutait le silence. Le cri de la nuit. Sa folie qui heurtait son masque, la force de l'âme. Tout cela l'apaisait, il pouvait enfin lâcher prise et laisser de côté les faux semblants. Il partait bien plus loin que ce modeste dortoir, que ces adolescents stupides, que le rêve ou le cauchemar. Il quittait ce monde pour un autre, bien meilleur. Celui qui n'existait qu'à ses yeux, d'une poésie grandiose et dont la grandeur n'était plus à remettre en doute. Ses ailes lui permettaient tout cela, et personne n'était en mesure de comprendre.

Personne ? Jeonghan était dans l'erreur et il le su au moment où cette pensée l'effleura. Son regard dévia automatiquement vers une couche bien précise. Hong Jisoo. Lui pouvait peut-être comprendre, concevoir cette terre belle et pure. Les sentiments qui submergeaient l'Ange en pensant à l'asiatique étaient incompréhensibles. Cet adolescent était différent de tous les autres, c'était certain. Sa sensibilité faisait de lui un être à part.

Un son attira l'attention de Jeonghan qui se redressa sans attendre. Jisoo se tordait entre les draps immaculés, une plainte s'échappant de ses lèvres. L'autre pouvait facilement l'imaginer malgré la pénombre de la pièce. Les traits fins crispés, les yeux roulants dans leur orbite et les muscles tendus jusqu'à la rupture. L'Ange comprenait, il pouvait presque ressentir le Mal de son ami.

Doucement, il se leva. Ses pas ne produisaient aucun bruit sur le sol froid, alors qu'il se déplaçait sans se presser. Il pouvait distinguer clairement le visage de Jisoo, dont la terreur se lisait sans difficulté sur ses traits. Un nouveau gémissement et la main agrippa le tissu fin des draps. Le cœur de Jeonghan se serra alors que la souffrance de son homologue l'atteignait durement. Des images familières l'assaillaient, attisées par la terreur d'un de ses semblables. Il déglutit avec difficulté, passant une main inquiète dans sa chevelure parfaitement ordonnée. Il murmura, presque pour lui-même :

-Jisoo ...

Il accusa un regard pour ses camarades, mais rien ne pouvait mettre un terme à leur sommeil. La Lune était pleine et n'était visiblement pas prête à relâcher son magnétisme. Sa pâleur dessinait des ombres lugubres sur un visage sans défaut sans en détruire la beauté de ses traits. L'hésitation prit fin alors que les lèvres de l'adolescent prononcèrent ces mots :

Au levé du jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant