Chapitre quatre : Abandon

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Je passais les partiels de janvier sans avoir aucune nouvelle de Robin, ni même d'Eleanor. Quand je pensais à cette garce, la colère me brouillait l'esprit, et le plus souvent je passais ma rage dans mes études ou la salle de sport.

Je ne voyais plus les rats, et encore moins Roland. Le gardien d'immeuble avait fini par faire dératiser l'endroit, et parfois je me demandais qu'est-ce qu'avait bien pu devenir le gros rat blanc. Une cicatrice ornait mon doigt, souvenir de notre dernière rencontre.

Mes notes avaient de nouveau remontées, mais je n'en tirais aucune fierté particulière. Elles étaient revenues à ce qu'elles étaient censées être depuis le début, voilà tout. Au contraire, je ne devais plus me relâcher comme je l'avais fait.

J'avais conscience que beaucoup d'étudiants tueraient pour avoir ma moyenne. Mais que croyaient-ils ? Je travaillais pour ça, jour et nuit. Et puis ils n'avaient qu'à ne pas être si médiocres.
Je me rabrouais à chaque fois que j'avais cette horrible pensée. Je n'étais pas quelqu'un de méprisant ni même de condescendant, et je ne tenais pas à le devenir. Moins je ressemblais à Eleanor, mieux je me portais.

Janvier passa, ainsi qu'une bonne partie de Février. Je me sentais de mieux en mieux dans mon corps qui abandonnait sa gaine de graisse, et j'arrivais à ignorer avec plus de facilité l'ancienne cour d'Eleanor à ma fac. Mon ordinateur prenait la poussière dans un coin de mon appartement, et la haine me saisissait à chaque fois que je posais les yeux dessus.

Eleanor me volait tout ce que j'avais jamais aimé, ou même possédé. Je m'abîmais de plus en plus souvent dans les souvenirs douloureux de mon adolescence. Elle n'avait jamais été tendre avec moi, loin de là. Je me souviens encore de la morsure de la caillasse qui heurte ma chair. Lancée par ses amis, ses admirateurs. Elle, jamais elle ne s'en mêlait. Jamais elle n'était coupable.

Eleanor, cette sorcière d'Eleanor...

Et pourtant, je finissais toujours par pardonner, elle ou les autres. Même si je ne suis pas chrétien, je suis le genre de crétin à tendre l'autre joue. Mes ennemis s'en sont rendus compte il y a bien longtemps, et s'en servit contre moi depuis.
L'interrogation reste : dois-je rester bonne pomme, encaisser, mais être le gentil garçon que mes parents ont élevé – et aimé ? Ou dois-je riposter, faire exploser la haine et la colère qui sommeille en moi ?

Je sens rôder une présence sombre en moi, et je sais que si jamais j'entrouvre la porte, elle se précipitera vers la sortie et balaiera tout sur son passage. Pour un peu, j'ai l'impression de vivre avec une seconde personnalité, qui ne fait qu'attendre son heure.

Je me bats avec mes démons, au jour le jour. J'essaye de ne pas penser que quelque part, dans l'étreinte de l'hiver, Robin en combat des réels.

Vers la fin février, alors que je broyais du noir, je suis allé à la salle de sport, chaudement emmitouflé. Je portais encore le bonnet et les gants de Robin – j'avais oublié de les lui rendre, et jamais il n'avait reparu à la cafétéria de Blackgate... Qui s'était d'ailleurs passée de mes services juste après mes partiels, prétextant qu'ils n'avaient pas besoin d'étudiants qui ne pouvaient pas assurer tous les jours leur service.

Au fond, je me doutais que c'était parce que je n'étais pas un magicien. Blanc et issu d'une famille ni trop pauvre, ni trop aisée, je croyais que je n'aurais jamais à faire à la discrimination : et voilà que j'y étais confronté de plein fouet. Mais ce n'était pas grave. J'avais vécu bien d'autres déceptions.

Je remontais la rue, lorsque j'ai entendu des cris étouffés par la neige, provenant d'un square vers ma droite. Je plissais les yeux, essayant de distinguer ce qui causait ce remue-ménage au travers du rideau blanc... Je connaissais ce quartier qui n'était pas très fréquenté, et je savais que le square était généralement déserté.

Le Sorcier et la MagicienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant