J'ai du mal à croire que l'on va vraiment le faire. Après toutes ces années, je nous croyais à l'abri et pourtant, cela me semble la meilleure chose à faire à l'heure actuelle. Pour nous deux. Enfin je crois.
Nous étions au lycée quand nous nous sommes rencontrés. J'étais le bad boy, elle était la princesse, mais contrairement aux contes de fées, c'est elle qui m'a sauvé. Ensemble, nous avons évolué, ensemble, nous avons grandi, et depuis peu, nous nous sommes ensemble éloignés l'un de l'autre.
Il n'y a personne dans ce bar, à l'exception des deux vieux qui regardent un match de football à la télévision dans la fumée de leurs cigarillos. Je ne sais pas qui joue, d'habitude j'aime le foot, mais là, j'ai la tête ailleurs. En fait, je me demande si je n'aurai pas dû emménager avec elle.
Depuis six ans que nous sommes ensemble, la question est revenue plusieurs fois sur le tapis, mais à chaque fois, de nouvelles raisons sont venues l'empêcher. Trop compliqué, pas le bon moment, trop cher. Pour moi, c'était surtout trop officiel. Autant crier sur tous les toits qu'on va se marier un jour et je n'aime pas sentir la menace de la corde autour de mon cou. Nous avons donc deux chez-nous, ou plutôt deux chez-nos-parents.
Cela me rappelle nos débuts du lycée, quand tout était simple, léger, facile. Maintenant, c'est l'inverse et je n'aime pas ça. Mais je l'aime, elle. Et pourtant, nous allons rompre d'un commun accord.
Elle arrive enfin, bien habillée comme à son habitude. Elle a la face rieuse mais ses yeux mentent. Ils sont fuyants, se dérobent à mon regard, cherchent à établir le contact avec une plante verte plutôt qu'avec moi. On s'embrasse avec gêne parce que nous savons tous les deux pourquoi nous sommes ici : c'est ici que se discuteront les termes de notre rupture, comme deux généraux se rencontrant à la fin d'une guerre pour négocier une reddition.
Comparer notre vie ensemble à une guerre est une injustice à l'Histoire, la nôtre. Je n'en ai que des bons souvenirs, et s'il n'y avait pas cette saleté de routine pour plomber le coup, je pense que nous aurions terminé nos vies ensemble. Mais voilà, les sentiments humains ne sont jamais prévisibles. Nous, le couple parfait selon nos amis, le couple modèle, celui qui donne confiance en l'amour, le couple 1 + 1 = 1 , allons nous séparer.
- Comment en sommes-nous arrivés là ? me dit-elle en plongeant ses yeux bleus dans les miens pour la première fois depuis qu'elle est arrivée.
Quand elle fait cela, je pourrais lui demander de m'épouser dans l'instant. Et Dieu que la tentation est grande mais je me retiens.
- J'en sais rien Anna. Je suppose qu'il était temps, c'est tout.
D'une manière générale, j'ai remarqué que la plupart des couples long terme de mon entourage ne passe jamais la barrière des 22-23 ans. Cela correspond à mon avis à la prise de conscience des deux parties qu'il y a d'autres poissons dans la mare, que la vie est longue mais la jeunesse courte et qu'elle mérite peut-être d'être vécue pleinement au lieu de s'attacher pour toujours à quelqu'un que l'on a connu au lycée, au temps des premiers amours.
J'ai lu dans l'un des magazines d'Anna que la moyenne des gens qui se mariaient était de 28 ans. Nous avons encore cinq ans pour entrer dans la norme, quitte à se retrouver sur la fin du compte à rebours. Mais ce serait dommage de passer à côté de la femme ou l'homme de sa vie parce que cela nous semblait confortable de vivre sans passion avec une personne dont on connaît déjà tout. C'est comme cela que je le vois. Et puis, je commence à remarquer chez elle des choses qui m'énervent, donc je préfère prendre les devants. Ce doit sûrement être les mêmes raisons qui l'animent.
- Qu'est-ce qu'on fait alors ? me demande-t-elle.
- Je ne sais pas, Anna. On s'embrasse et on se dit au revoir ? Comme le font les autres.
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12 courtes histoires d'amour
RomanceUn recueil de 12 courtes histoires d'amour, à lire partout.