Parfois, je ne parviens pas à faire la différence entre le rêve et la réalité. Les lieux, les personnes et les heures se mélangent et il me semble que je flotte à travers le temps et l'espace. Comme quand vous vous réveillez en pleine nuit et que vous constatez qu'il n'est que deux heures du matin. Vous fermez les yeux, juste quelques secondes selon vous, et sans savoir pourquoi, il est déjà l'heure de se lever. Un battement de cil de cinq heures. Rêve et réalité.
Dans mon rêve, je recevais le Pulitzer pour un reportage sur la situation au Darfour. Dans ma réalité, il n'est que deux heures du matin et quelqu'un tambourine à la porte de mon appartement. Je chuchote quelques paroles incompréhensibles, du genre « Si c'est mon agent, je le tue » et parviens finalement à m'extirper de sous mon épaisse couette. Dieu bénisse la moquette, qui ne transforme pas nos voûtes plantaires en glace par simple pression du pied, comme le fait admirablement le plancher ou le carrelage. Pensées éparses.
Je me déplace doucement dans l'appartement pour une raison que j'ignore alors que les coups redoublent sur la porte. J'ai l'impression qu'elle va céder, voler en éclats dans mon entrée et je me promets de perdre mon sang froid légendaire pour accueillir ce visiteur nocturne avec toute l'impolitesse qui ne me caractérise pas en temps normal.
J'aurais aimé faire ce que je viens de penser, mais comme pour la plupart des gens, ce que je veux faire et ce que je fais en définitive sont des étrangers qui ne se rencontrent que très rarement.
- Salut Will, me dit une voix que je n'ai pas entendue depuis sept ans quand j'ouvre la porte. Je peux entrer ?
Et sans attendre la moindre réponse, elle passe le pas de ma porte pour entrer dans mon appartement comme si, par un procédé que j'ignore, elle avait inversé le cours du temps et des choses. Je commence à penser que peut-être, je suis en train de rêver, et qu'au lieu d'ouvrir la porte de chez moi, j'ai ouvert celle qui donne sur mon passé. J'attends le moment où tout redeviendra normal. Une minute. Deux minutes. Elle est toujours là, dans mon salon, à me fixer d'un air grave. Trois minutes. Je me pince. Quatre minutes. Je commence à réaliser que c'est peut-être la réalité tout compte fait, même si j'ai des difficultés à établir une quelconque relation de cause à effet entre ce que j'ai fait ces derniers jours et la raison de sa présence ici.
- Qu'est-ce que tu fais ici, Anna ?
- Il fallait que je te voie, me répond-elle sans hésitation.
- A deux heures du matin ?
- Désolée, mais il fallait vraiment que je te voie.
Elle s'assoit dans l'un des divans et attend visiblement que je la rejoigne dans le salon. Je l'aurais sans doute fait sans hésitation quelques années plus tôt mais en cet instant précis, je reste indécis. Je me mets à errer dans un espace de quelques centimètres carrés, comme si mon monde se réduisait à la distance entre le portemanteau et la petite commode et qu'elle en était exclue.
- Pourquoi tu restes là-bas Will ?
- J'attends que tu disparaisses.
Disparaître de mon rêve ou de ma vie, peu importe le sens que je voulais donner à cette phrase, elle l'a prise en plein cœur. Une femme que j'ai aimée à la folie sept ans plus tôt est donc en train de pleurer dans mon salon et je reste à la regarder, à attendre qu'elle s'évapore ou que mon réveil sonne pour me signifier que je dois me rendre au journal.
Je ne me souviens pas de mes rêves en temps normal mais je suis à peu près certain que je parviens toujours à me réveiller de ceux que je ne veux pas subir. Je statue donc qu'il ne s'agit pas d'un rêve et que pour une raison que j'ignore, Anna est bien dans mon salon, à pleurer en pleine nuit. Cela ressemble à la dernière fois que nous nous sommes parlé sauf que nos rôles sont maintenant inversés. Elle avait passé la majeure partie de la discussion à m'expliquer pourquoi nous n'étions pas faits pour être ensemble et pourquoi elle avait décidé de partir.
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12 courtes histoires d'amour
RomanceUn recueil de 12 courtes histoires d'amour, à lire partout.