Kiwi

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Je souris, attablée au comptoir du bar, un café fumant à côté de moi, et mon carnet de dessin devant. Je dessine en l'écoutant parler. Il a une superbe aisance à l'oral, il parle bien anglais et sait faire rire les gens autour de lui. De plus en plus de personnes viennent l'écouter raconter ses histoires. Il est proche, je le sens près de moi. Je lui tourne à demi le dos, mais je l'écoute. J'aime sa voix, sa présence. Je l'aime.

Le crayon, dans ma main, tangue et danse, faisant apparaître le portait de la personne aimée sur la page blanche. J'ai pourtant de plus en plus de mal à croquer son beau visage, son doux sourire qui me fait tant d'effet.

Soudain, je sens une autre présence masculine près de moi.

« Vous semblez bien seule mademoiselle.»

Je lève la tête de mon dessin, et la vision dans ma tête s'envole. Encore un instant avant, j'étais dans notre bar préféré. Celui avec les mur jaune, avec les bancs de bois et aux coussins verts, avec cette lumière cru et son abat-jour clair. Ce bar avec ses tables de bois abîmées et usées mais toujours utilisées et appréciées. Ce bar fréquenté par les mêmes habitués depuis des années. Je voyais, il y a encore quelques secondes, mon amour d'homme qui racontait notre vie en France, entouré d'hommes et de femmes buvant ses paroles. Nous avions beau être en Irlande, il parlait si bien anglais, qu'on n'aurait pu deviner d'où il venait. Encore un instant, je voyais son beau sourire, ses yeux pétillants me regardant avec amour.
Maintenant, je ne vois plus que notre bar à l'allure plus sombre, beaucoup plus sombres. Je ne vois plus ces personnes à qui nous disions bonjour amicalement, chaque fois que nous venions ici.
En parlant, cette personne a fait éclaté la bulle de souvenir, dans laquelle j'étais plongée, enfermée. D'un coup, les odeurs, les bruits, la musique de fond m'agresse les sens.
Cet homme qui m'a adressé la parole est jeune, et semble avoir le même âge que moi. Il est habillé de manière sobre et sombre. Je détourne la tête et bois une gorgée de la tasse de thé. Je ne buvais jamais de thé avant. Je n'en aurais jamais pris avant. Jamais. Le serveur nettoie un verre en épiant le jeune homme venu m'aborder. Je regarde mon dessin. Ce n'est qu'une ombre rapide, dessinée. Une ombre s'effaçant. On ne reconnaît qu'avec peine, l'homme qui a été, un jour, celui que j'ai aimé.
Je me lève, prends mon carnet et part de ce lieu, laissant la tasse fumante encore bien pleine sur le comptoir. Les hommes me regardent partir sans esquisser le moindre geste pour m'arrêter.  

Document.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant