Let's Kill Tonight

Séance n°1 - 28.07.2018

L'avantage d'avoir été élevé parmi les mafieux, c'est l'indifférence. Un démembrement ? Tant que je suis pas tâché, je m'en branle. Un œil arraché , une purée de mamie sous un bus, des tripes qui ressortent ? J'ai déjà fait pire. Rien ne me fait peur ou ne m'angoisse. Vous savez, votre pore médecin qui n'arrête pas de tout commenter quand vous matez Dr House ensemble ? Bah moi c'est pareil, mais avec les films d'horreur bien dégueulasses. Je sais comment ça se passe, de l'intérieur.

Le désavantage d'avoir été élevé parmi les mafieux, c'est aussi l'indifférence. Est-ce que je préfère les garçons ou les filles ? Est-ce que j'aimerais avoir une cravate bleue ou rouge ? Pourquoi est-ce que l'espère humaine existe et perdure ? Je m'en bats la race comme rarement on s'est battu la race de quelque chose. Et honnêtement, parfois c'est chiant. Mon boulot repose uniquement sur la socialisation et ma capacité à créer de la sympathie.

Heureusement, il y a la bouffe. Sans ça, je pourrais pas aborder les gens et montrer un semblant d'émotion pour des inconnus. Rien ne me rend plus heureux qu'un alcool vieilli en fût de chêne, un bon plat de poulet ou un parfait à la crème chantilly. Qu'ils se le gardent, leur amour à la mords-moi-le-nœud, moi j'ai des pâtes à la sauce carbonara et ça me suffit entièrement. Le plus beau cadeau qu'on pourrait me faire, c'est sans doute un pass complet pour mon resto préféré à vie. Mais bon, je suis plein de thunes alors tout est relatif.

Tous mes potes se foutent de ma gueule, là dessus. Parce que ouais, je suis indifférent mais je ressens quand même des choses. C'est dur de se faire de vrais bons amis mais quand on fait partie de la mafia, ça facilite les choses. Si je croyais en Dieu, je pourrais remercier d'avoir mis sur ma route cette bande un peu fun et carrément barge sur ma route. Mais je crois en rien d'autre que le fric et la justesse de l'utilisation de l'huile d'olive alors je suis juste content.

Mon travail, vous demandez ? Je suis Récupérateur. Mama est la grande manitou de notre Famille - parce que ouais, c'est un business familial comme la boulangerie ou ce magasin de bonbons au bout de ma rue - et elle a décidé de nous reconvertir quand elle a hérité de son père, il y a quelque chose comme quinze ans. Le vieux a cané dans son lit, comme un roi, comme quoi c'est les pourris qui partent en paix. Quoiqu'il en soit, Mama a dit que la drogue c'était devenu nul. N'importe quel dealer pouvait couper de la coke, empaqueter des tonnes de shit. Elle a aussi dit que le secret c'était de voir ce que les riches ne pouvaient pas acheter sur le marché légal, ce dont ils ne pouvaient définitivement pas se passer. C'est pour ça qu'on s'est lancé dans le marché des organes.

Elle a étudié la chose, pris son temps et après son tour d'Allemagne - les allemands c'est vraiment des bêtes pour se faire du fric facile - elle a décidé que ce serait notre nouveau travail. Divisé en deux branches, la Famille s'occupe d'une part de prélever et d'autre part de revendre. Pourquoi on est plus efficaces que les hôpitaux ? Parce que nous on attend pas que les gens crèvent pour leur prendre leurs entrailles. Quoi ? Ca vous choque ? Faut pas faire cette tête là hein ! Vous, je vous ferai pas du mal, ça fait du bien de vous parler. Et vu le prix que je vous paye, ça a intérêt.

Enfin bref, de mon côté, je me charge de récupérer le 'matériel' comme on l'appelle. Eh mais on étripe pas toujours hein ! Parfois, ça passe par de simples chèques bien juteux. Les gens sont prêts à tout pour avoir un iPhone X ou une super télé pour regarder la coupe du monde maintenant et bon, nous on accepte de leur donner pour un rein, un ou deux litres de sang, du sperme, de la peau, des cheveux. Parfois même, ils sont prêts à donner un œil ou une couille, les gens sont fous.

Dans ces cas là, je sors mes lames, toujours propres et désinfectées, je fais une coupure nette, je fais un job propre et ils repartent avec une somme en cash pas dégueulasse. Bon, on a des règles, quand même. On ne touche pas aux moins de seize ans, déjà, parce que leur corps n'est pas bien développé et qu'on a pas besoin d'un rein minuscule ou d'un gosse crevé parce qu'on lui a pris trop de sang. Les gosses, on les cherche, leurs parents passent à la télé, font le grand show, envoie des avis de recherche sur les réseaux sociaux, ce serait imprudent de les flinguer. En plus, ils pourraient nous revenir plus tard. Nous être utiles.

Bon, bien sûr, personne va donner son cœur ou son foie volontairement, alors parfois on est obligé d'enlever, de séquestrer, de découper. C'est toujours mieux d'attendre le dernier moment pour que les organes soient frais, vous comprenez. On prend toujours des gens entre vingt et soixante ans, pas plus vieux, y'a plus rien de frais chez les vieux. Et puis, on essaye de faire en sorte qu'ils soient en bonne santé, ce serait pas question de refourguer un rein malade à un client riche, ça nous flinguerait toute notre affaire.

C'est déjà l'heure ? Oh déjà, c'est fou comme on se livre avec vous, docteur. J'en aurai presque les larmes aux yeux. Je prendrai un autre rendez-vous avec votre secrétaire en partant.

Oh mais, docteur, faites donc pas cette tête. Je sais que ça doit pas être facile pour vous, quelle culpabilité sur vos épaules ... Laisser partir un criminel sans pouvoir rien dire.

Mais je vous fais confiance, docteur. Vous direz rien, parce que vous savez que sinon vous serez fumés avant de pouvoir témoigner contre qui que ce soit ... Et puis on sait jamais, vous pourriez avoir besoin d'un rein demain. On vous fera un prix d'ami.