Chapitre 1 : Une nuit d'Halloween

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Il n'avait jamais été doué pour exprimer ses émotions. Si on le lui avait demandé, là, il n'aurait été capable de nommer autre chose que la peur et l'appréhension qui le rongeaient. C'était bien plus que cela.

La porte de la maison était enfoncée, ne tenant que sur un gond, basculant dans le vide et grinçant encore sous la brise qui soufflait, mordante, invisible. Il ne voulait pas entrer. Surtout pas. Il avait la sensation que sa vie entière allait s'arrêter. Il se disait que, s'il restait là, tout ça ne serait pas vrai.

S'il entrait, s'il voyait, la réalité le rattraperait. L'urgence de la situation ne parvenait que très vaguement à la partie reptilienne de son cerveau. Il n'avait jamais su l'écouter, cette partie... Sans doute l'une des nombreuses raisons qui avaient provoqué le carnage qu'était sa vie.

Un bruit de moteur, plus loin dans la rue, le fit enfin réagir. Il entra. Le perron accueillant, le paillasson « Welcome » sur lequel on ne pouvait lire l'horreur de la situation. Une odeur dans l'air, un mélange de thé vert et noir froid qui lui montait à la tête. Il passa le couloir, entra dans le salon et s'arrêta, en regardant James.

Des années passées à le haïr qui s'envolèrent immédiatement. Il n'avait pas souhaité sa mort, quoi qu'il en ait dit à son journal intime, à l'époque. Cet homme, aussi maladroit et arrogant eut-il été, n'avait jamais été mauvais. Et il avait su rendre Lily, la précieuse Lily, heureuse.

Il regarda son alliance sans y penser, les images du mariage défilant dans son esprit. Evidemment, il n'avait pas été invité, mais il avait maintes et maintes fois plongé dans la pensine de Dumbledore.

Il se détourna du spectacle. Toutes ces pensées n'avaient duré qu'une seconde au final car il y avait plus pressant, plus urgent. Plus inquiétant. Il posa le pied sur la première marche et regarda vers l'étage. Il n'avait aucune envie de monter, aucune envie de voir ce spectacle atroce...

Son cerveau reptilien s'éveilla, et ses pas le portèrent en haut sans qu'il ne s'en rende compte. Un instant plus tard il tombait à genoux, hurlant, en serrant contre lui le corps froid de Lily.

C'était fini.

A l'instant même, la réalité s'était ancrée, le monde s'était remis à tourner sans elle. Il passa de nombreuses minutes à la bercer, une fois les larmes calmées, à murmurer pour elle des excuses et des mots qu'il n'avait jamais sus lui dire.

Le monde était cruel, bien sûr. Mais ici, ce n'était pas le monde, simplement l'ironie, le « karma », on aurait pu dire. Il avait cru pouvoir la protéger du plus grand Mage Noir de tous les temps, mais il les avait tués bien sûr.

Tous les trois. James, Lily, Harry.

Il releva les yeux sur le berceau et crut que son cœur ne recommencerait jamais à battre en croisant le regard vert de Lily. Là... Sur le visage d'un bambin dont le front saignait légèrement et qui le fixait... Qui le fixait si fort.

Lentement, il laissa Lily s'allonger, tentant de l'installer le plus confortablement possible, puis il se redressa. Ses jambes tremblaient, de même que ses mains et le reste de son corps, mais il se pencha sur l'enfant. Qui ne cessait de le fixer, encore et encore... N'arrêterait-il donc jamais ? C'était plus que ce qu'il pouvait supporter.

Il passa ses mains, devenues squelettiques à force de peurs et de combats, sous les bras du garçon et le souleva, le prenant contre lui. Son cœur, lentement, s'apaisa pour venir battre au rythme de celui de l'enfant. Il le berça, une main sur sa tête caressant ses cheveux encore clairs.

Lorsque Dumbledore entra, Rogue n'avait pas bougé. Debout devant le lit d'enfant, il serrait toujours Harry dans ses bras, tentant d'oublier que Lily gisait à ses pieds.

L'homme s'approcha de lui, après ce qui sembla être une éternité, nécessaire sans doute pour accuser le coup. Lily avait marqué beaucoup de personnes, tout comme James... Et leur mort resterait la pire épreuve que la plupart d'entre eux auraient à vivre.

« Serverus... Comment va le garçon ? »

La voix rocailleuse, devenue plus dure avec l'émotion, sembla s'éteindre dans un silence de plomb. Le jeune mangemort ne dit rien pendant quelques secondes.

« Bien. Une simple blessure au front. Il faudrait la nettoyer...

- Un sortilège de magie noire ?

- Oh, non, j'imagine que vous-savez-qui s'est contenté d'un petit coup de baguette au-dessus de l'œil. »

Il y eut un silence, et le visage de Rogue tourna enfin vers le directeur de Poudlard.

« Vous deviez les protéger.

- Le gardien du secret...

- Aurait dû être moi, tel que je vous l'avais proposé. Jamais je ne les aurais trahis.

- Je n'ai eu aucun pouvoir de décision.

- Vous avez toujours eu le pouvoir. Sur toutes personnes et toutes choses, depuis le début. Vous avez refusé pour protéger vos intérêts. Pour vous assurer de garder à vos côtés votre précieux agent double...

- Qui a donné à son maître une prophétie mettant en danger ceux qu'il voulait protéger ! »

Severus se tut. Il était rare qu'Albus lève la voix contre lui. Il ne s'énervait que contre ceux qu'il appréciait, ceux qui valait la peine qu'on se préoccupe de leurs erreurs et de leurs réussites. Mais sous le coup de l'émotion, sans doute...

« Nous devons mettre le garçon en sécurité.

- Il restera avec moi.

- Il doit rester auprès du sang de sa mère.

- Il restera auprès de moi. Je tuerais pour lui. Je mourrais pour sa vie. »

Encore un silence. Rogue n'en pouvait plus des silences. Il avait besoin de vie, de mouvements, il devait sortir d'ici. Sortir au plus vite. Il se détourna sans un regard pour Lily, contourna Dumbledore et descendit les marches d'un pas précipité. Dehors, il transplana sans y penser.

Lorsque le monde cessa de tournoyer et que la rue sombre fut remplacée par l'allée de sa maison, il posa les yeux sur Dumbledore. Evidemment, il était déjà là. Il avait du transplaner à la seconde où Rogue avait quitté la chambre.

« Nous allons lancer des sortilèges de protection... »

Rogue passa devant le directeur sans vraiment l'écouter, et entra chez lui en serrant fermement Harry. Des sortilèges de protection, oui. Sans doute. Il s'assit sur le canapé, sa baguette bougea seule pour allumer le feu dans la cheminée, et pour actionner le vieux tourne disque.

Une mélodie fade s'éleva, mais elle remplissait au moins la pièce d'un bruit autre que celui de ses pensées.

« Severus... »

Il releva la tête, ses yeux rouges de larmes plus perçants que jamais.

« Harry restera ici, que vous le vouliez ou non. Il restera ici, sous ma protection. Et à son entrée à Poudlard je... »

Son regard se baissa sur son bras. La marque. Elle ne brûlait plus. Depuis des mois, elle était sans cesse en train de martyriser son corps... Et là... Elle ne brûlait plus.

La musique resta seule un moment, avant que le froissement de la robe de Dumbledore n'arrive aux oreilles de Rogue. Il ne put rien faire d'autre que regarder l'homme soulever la manche de sa robe et tourner son bras, pour voir la marque.

Sa noirceur avait perdu en intensité. Les deux hommes se fixèrent, puis tournèrent les yeux vers l'enfant.

« Tergeo... »

Bien que prononcé du bout des lèvres et sans baguette, le sortilège de Dumbledore nettoya le sang qui couvrait la cicatrice du garçon. Un éclair rougeâtre, légèrement boursouflé, apparut.

« Epiksey. »

Cette fois-ci, rien ne se produisit. La cicatrice restait là, sèche, rouge, gonflée.

« Il n'a pas été seulement sauvé par Lily, Severus...

- C'est impossible. Que la magie blanche soit puissante à ce point ne...

- La lumière, Severus, chassera toujours l'ombre. »

Dans les yeux de SeverusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant