Djibril (La Madonne)

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Djibril savourait le corps d'Alizée comme un ouvrier habitué à la grisaille morne des cités verrait pour la toute première fois la mer et ses vagues salées. Abasourdi, sidéré, fou d'admiration et de reconnaissance il s'adonnait à la contemplation de ses seins tendre et roses, de son ventre adorable et de ses cuisses délicates striées par de fines vergetures comme par des éclairs magnifiques. Elle reposait là, calme entre ses bras, étendue avec confiance. On l'aurait dit offerte mais Djibril la savait pourtant loin, si loin de lui appartenir: Alizée et son corps sublime vibraient de la fierté impérieuse des reines égyptiennes. Cléopatre aux cheveux d'or, Nefertiti aux yeux océans, nul seigneur n'aurait su en faire son esclave, et Djibril n'était qu'un pauvre étudiant. 

"Il se fait tard, je crois que je vais devoir rentrer." Murmura-t-il, presque avec honte.

Alizée leva vers lui un regard indéchiffrable, il aurait voulu qu'elle lui demande de rester.

Elle aurait voulu lui demander de rester, mais Alizée était troublée par la douceur colombine du garçon. Sa tendresse et ses yeux pleins de sagesse lui donnaient le sentiment de découvrir un lieu sacré et interdit, une cathédrale secrète ou un mausolée millénaire dont l'entrée serait blasphème. Djibril et son regard mélancolique bousculaient quelque chose en elle et perdue face à cette innocence qu'elle n'avait jamais connue Alizée qui avait toujours su quoi dire se trouvait soudain muette.

Sans dire un mot Djibril et ses yeux sombres se levèrent doucement et Alizée s'écarta pour le laisser, se mordant la lèvre pour s'empêcher de le retenir. Il ramassa ses chaussures et les noua avec attention. Passant la porte, il se retourna et leurs yeux se croisèrent une dernière fois, s'hurlant ce que leur bouche n'avait le courage d'exprimer. Il lui sourit tristement, et Djibril quitta l'appartement.

En fermant la porte derrière lui il retint son souffle, laissant à Alizée l'occasion de le retenir par un appel, un  murmure ou même un battement de cils, mais il n'en fut rien. Il sortit de l'immeuble, et le soleil lui parut aveuglant et les rues vides et sales. Remontant la place de la Comédie jusqu'à la rue de l'Aiguillerie, guidé par ses jambes qui le tiraient mécaniquement, Djibril remontait en pensée les doux bras d'Alizée jusqu'à sa gorge pâle, son menton aimable jusqu'à ses lèvres roses. Spectral, il fendait la foule sans la sentir et traversait Montpellier sans l'entendre.

Une fois arrivé chez lui il s'étendit sur son canapé usé, glissa ses bras derrière sa tête et se perdit dans l'observation oisive et désintéressée du plafond de plâtre blanc. Réalisant qu'il avait oublié de lui donner son numéro, Djibril comprit que revoir Alizée lui serait compliqué. Cette révélation le secoua comme un éclair et, pris d'un élan fiévreux, il se précipita à sa petite table de bois et attrapa une feuille de papier sans prêter attention aux livres qu'il avait fait basculer dans sa précipitation. 

Empoignant un crayon il se pencha sur la feuille et écrivit: "Alizée, j'aimerais te revoir, mon adresse est inscrite au dos

Sincèrement, 

Djibril."

Il contempla le bout de papier quelques instants, l'assurance qui avait pris possession de son corps le quitta d'un coup et le laissa seul en proie aux hésitations. 

Le Cimetière des ÉléphantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant