Chapitre 1 La rencontre

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Lili voulait aller danser.

Cette petite ritournelle tournait sans cesse dans sa tête. Accoudée au juke-box, Juliette en mourait-elle aussi d'envie. Sa bretelle de son débardeur glissa, dévoilant son épaule. Au comptoir, plusieurs jeunes gens qui discutaient devant leur tasse de café, se donnaient des coups de coude en la regardant. L'un d'entre eux, un beau brun au regard bleu électrique, se tourna vers elle et dévisagea la jeune fille dont ses voisins de comptoir vantaient la beauté tout en chuchotant qu'ils en feraient bien leur quatre-heures. Leurs regards se croisèrent quelques secondes. Une gamine tout juste sortie de l'adolescence, dix-huit-ans, peut-être moins. Craquante avec sa petite fossette au menton et son air boudeur. Elle le dévisageait un air de défi aux lèvres. Stéphane hocha la tête. Trop jeune pour lui. De dix ans son aîné, il laissait le soin à d'autres d'aimer les midinettes, un peu dégoûté, quand même, par les propos graveleux qu'ils tenaient.

De toute façon, il était trop occupé à séduire sa voisine, la bourgeoise du cinquième. Un petit défi qu'il s'était lancé. Décoincer cette blonde pulpeuse et guindée et l'attirer dans son lit pour la dénuder, la corrompre et lui faire découvrir les délices de la bagatelle. Un challenge de taille qui l'amusait, cette demoiselle tellement hautaine méritait une petite leçon. Son air condescendant l'irritait. Oui, il l'admettrait volontiers, c'était macho, puéril et cruel. Mais il s'ennuyait en ce moment. Depuis qu'Aurélie l'avait plaqué pour épouser un homme plein aux as, il aspirait à se venger des femmes et la nana du cinquième s'avérait être un bon petit substitut d'Aurélie. Blonde, toute en jambes, une poitrine généreuse, de magnifiques atouts physiques, mais d'un snobisme hérissant, elle regardait tout le monde de cet air supérieur dont sont empreints certains individus pour des raisons qui dépassent l'entendement. De nos jours, tout se jouait sur l'apparence, le physique, la profession, l'argent, critères de réussite dans une société décadente où les valeurs morales perdaient leur sens.

Tout à ses réflexions, il ne vit pas venir Juliette qui se colla à lui avec insolence. Cette gamine n'avait pas froid aux yeux, elle le dévisageait sans vergogne contrairement à son amie restée près du juge-box. Celle-ci semblait plutôt timide, un physique d'adolescente ingrat à l'inverse de la petite Juliette et sa silhouette gracile. Des petits seins qu'elle mettait en valeur dans un tee-shirt collant et décolleté, de longues jambes dénudées qu'elle croisait et décroisait, perchée sur le haut tabouret de bar prés de Stéphane. Elle avait vu ça dans un film. Juliette adorait cette scène qu'elle trouvait sensuelle et sexy, et elle s'était promis de la tester dès que possible. Mais Stéphane n'était pas d'humeur. D'abord, fréquenter des mineures, c'était dangereux, un geste déplacé et mal interprété et tout pouvait aller très loin. Il se trouvait bien placé pour le savoir, les plaintes s'empilaient au commissariat. Et deuxièmement, pas encore besoin, à son âge, de draguer des jeunes filles de dix ans sa cadette pour satisfaire son égo comme bon nombre d'hommes de la quarantaine qu'il connaissait.

— Tu es trop jeune pour traîner avec des mecs de trente ans, petite. Profite de la vie et fréquente donc des garçons de ton âge, lui assena-t-il après avoir payé sa consommation et quittant le bar.

Juliette le regarda partir, déçue. A côté d'elle, les hommes s'esclaffèrent. Eux voulaient bien lui tenir compagnie. Mais ça n'intéressait pas Juliette, c'est Stéphane qu'elle voulait séduire, quelque chose en lui l'attirait irrésistiblement. Elle savait qu'il venait souvent prendre son café ici et qu'elle aurait l'occasion de le revoir. Un garçon audacieux lui prit la main, elle le foudroya du regard et se dégagea d'une petite tape, rejoignant son amie Manon. Elle l'entraîna au-dehors, marmonnant entre ses dents :

— Tous des crétins, ces mecs ! On reviendra demain après les cours. D'ici là, j'ai le temps de concocter un plan.

— Juliette, ce type est trop vieux pour toi. En plus, tu ne sembles pas vraiment l'intéresser, tu sais.

Juliette lui lança un regard noir.

— Qu'est-ce que tu en sais, toi qui n'intéresses personne avec ton look... bafouilla-t-elle vexée. Regarde-toi, fringuée comme une clocharde avec ton tee-shirt immonde dans lequel on pourrait rentrer toutes les deux, et ces lunettes qui te donnent un air de chouette. Ce n'est pas demain la veille que tu vas coucher avec un mec avec une allure pareille. Même les geeks au lycée se foutent de ta gueule, et pourtant vous jouez dans la même cour, c'est pour dire !

Juliette pouvait être très blessante quand elle s'y mettait. Pourtant Manon se trouvait être sa meilleure amie depuis la maternelle. Mais elles avaient évolué très différemment depuis quelques années et Manon se demandait, parfois, pourquoi Juliette la fille la plus populaire du lycée, celle qui ne comptait plus ses amis, persistait à la fréquenter. Enfin si, elle l'avait compris depuis quelque temps, elle lui servait de faire valoir. Quoique Juliette avec sa beauté époustouflante n'en ait nul besoin.

— J'ai seize ans Juliette ! Coucher avec un garçon n'est pas ma priorité. Comme tu peux être superficielle parfois ! Seule l'apparence compte. Ça ne te gêne pas d'avoir la réputation de fille  facile ? Les mecs du lycée, eh bien c'est...

Furibonde Juliette campée au bord du trottoir prête à traverser se retourna vers son amie. Ses joues rouge écarlate faisaient ressortir ses grands yeux vert émeraude.

— Et alors ! Au moins j'ai une vie, pas comme toi toujours plongée dans tes romans ou sur ton ordi. Et tu remarqueras quand même que les garçons c'est MOI qui les jette. Les filles faciles se font jeter, ELLES.

Manon ricana.

— C'est parce qu'ils ont pas le temps de le faire. Tu es très intelligente Juliette, tu couches et tu passes au suivant. Ça ne change en rien l'opinion qu'ils ont de toi : « une fille facile » , insista Manon.

Juliette n'était pas la petite écervelée qu'elle semblait être. Elle savait depuis longtemps qu'il fallait garder le contrôle, et ce en toute situation. Aussi après chaque coucherie, elle s'évertuait à dire au revoir et merci au garçon éberlué élu de sa soirée. Jamais elle ne se lançait dans une relation suivie. La vie de couple de ses parents ne l'encourageait pas sur cette voie, de toute façon, elle adorait choquer et elle n'avait que seize ans ! L'âge des flirts et des histoires sans lendemain. Les remarques de Manon la blessaient parce que justement, Manon son amie, sa confidente ne la jugeait jamais. Elle reconnaissait l'avoir bien cherché en attaquant la première Mais elle ne supportait pas l'idée que Stéphane ne puisse s'intéresser à elle. Énoncé par son amie, son amie sensée, réfléchie, honnête et franche, cela devenait trop réel. Le défi était donc de taille, et elle le relèverait quoiqu'il en coûte.

— Je te parie tout ce que tu veux que d'ici la fin du mois, je me le fais le Stéphane.

Manon hocha la tête et soupira

–– Je suis sûre du contraire.

–– Eh bien, tope là, répliqua-t-elle en tendant la main.

— OK ! Moi je parie que je coucherai avec un garçon de mon âge avant que tu réussisses à t'approcher de ce Stéphane.

Juliette éclata de rire devant l'incongruité de l'enjeu.

— Toi te taper un mec ? Ce serait une première et tu n'oseras jamais. Tu fuis les mecs comme la peste ! Et qui voudrait bien de toi ? Regarde ta dégaine.

— Tu dis toujours que tout est question de look. Je vais m'y coller et, tu verras, ma transformation sera si foudroyante que tout le monde en restera scotché. Et je deviendrais aussi intéressante que toi ! Tous les mecs du lycée seront à mes pieds !

— Dans tes rêves ! Mais un pari est un pari. Si je gagne tu fais tous mes devoirs jusqu'à la fin de l'année ?

— Tu rigoles ? Tu oublies que c'est déjà le cas ! Si tu gagnes je continuerai à la faire, dans le cas contraire, eh bien, terminé cet arrangement !

–– Mouais, on verra.

–– Quoi, tu as peur de perdre ?

–– LOL ! Y a pas de risques ! Allez viens on va faire les boutiques. Je suis bonne joueuse, je vais t'aider pour ta nouvelle garde-robe.

Sur ce Manon glissa son bras sous celui de Juliette, et bras dessus bras dessous, réconciliées elles traversèrent la route.

Jeunesse en dangerWhere stories live. Discover now