Chapitre 5 : Au Marché des Enfants Rouge

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Assis à son bureau Stéphane consultait pour une énième fois le profil Facebook d'Emma Ronfleur, la jeune fille de seize ans, retrouvée dans le tiercecolle la semaine dernière. Les parents venus pour l'identification venaient juste de repartir, effondrés. Disparue dix jours plus tôt la jeune victime s'avérait être une jeune gamine plutôt sage aux dires de tous, pas vraiment aventureuse, d'un physique assez banal, pas du tout le profil des victimes, établi par l'équipe sur l'affaire en cours, ces assassinats de jeunes filles entre quinze et dix-sept ans après séquestration et violences. Constat effarant après les autopsies des victimes, les jeunes filles avaient été ligotées, affamées, violentées pendant au moins cinq jours. Trois meurtres sadiques en deux mois, plus de dix signalements de disparitions dans la même période, des jeunes filles fréquentant le même lycée, plutôt négligées par leur famille, sauf pour Emma. Non vraiment cette gamine ne correspondait pas au profil. Et pourtant, les sévices infligés ne ressemblaient que trop à ceux des autres victimes.

C'est pourquoi Stéphane ne souhaitait écarter aucune piste. L'assassinat d'une nouvelle gamine de seize ans, pure coïncidence ? Dans son dernier statut Emma se définissait comme heureuse, et la géo localisation ainsi qu'une photo l'accompagnant la situait sur un grand marché de la capitale dix jours plutôt, date probable de son enlèvement. Sous la photo des émoticônes sourires de ses amies, mais pas de commentaires.

Laurie en charge des interrogatoires de ses proches n'avait rien pu apprendre. Emma était restée plutôt secrète sur une rencontre avec un beau jeune homme au physique de mannequin aux dires de sa meilleure amie Léa. Celle-ci n'en savait davantage, regrettant amèrement son manque d'insistance, ne cessant de sangloter tout le long de l'interrogatoire, persuadée que Gégé serait encore en vie si elle s'était confiée à elle. Mais devant la joie manifeste de son amie d'être parvenue, elle, à intéresser un si beau mec, et surtout réussir à lui parler et l'approcher s'avérait... impossible. Léa ne pouvait l'imaginer. Mais pour ne pas blesser sa meilleure amie, elle avait fait mine de le croire. Un peu de rêve ne nuit à personne, Emma pouvait bien avoir son fantasme.

— Pourquoi impossible ? s'enquérit Laurie. D'après toi elle mentait ?

— Oui, je le pensais. Emma ne savait pas gérer ses émotions. Elle devenait rouge comme une tomate, bégayait comme pas possible et se retrouvait couverte d'urticaire, dès qu'on garçon lui adressait la parole. C'était pathologique. Du coup elle les fuyait. Tous les garçons se moquaient d'elle au lycée, y compris les ringards, nullos et les mochetés, une petite revanche quoi ! D'autres s'éclataient en la provoquant, trop contents de pouvoir se foutre, euh se moquer d'elle. Je ne comprends pas comment elle a pu faire ça ! Pourquoi elle m'a rien dit ! Oh non ! Je ne la reverrais plus jamais. Ma meilleure amie est morte assassinée.

Le réalisant elle s'était remise à pleurer de plus belle.

Ce fut un interrogatoire éprouvant pour Laurie. Pour finir Léa leur apprit que la jeune fille suivait une psychothérapie, qui sait peut-être avait-elle voulu tester ses premières armes et s'assurer de son succès avant de le dévoiler aux autres ? Emma, une jeune fille fragile avait-elle succombé au charme du manipulateur ? Comme pour Lauren, une rencontre secrète avec un beau jeune homme. Une autre coïncidence que l'instinct les inspecteurs ne pouvaient ignorer.

Stéphane étira ses muscles contracturés par des heures passés devant son ordinateur, se leva, enfila son blouson de cuir, et glissa dans la poche intérieure une photo de la jeune fille au sourire radieux.

— Allez Laurie, allons faire un tour au Marché des Enfants Rouges, puisqu'il semblerait que ce soit le dernier endroit où on aurait pu l'y voir.

La jeune femme se mit debout à son tour, abandonnant ses recherches en cours.

— Je ne suis pas très optimiste, c'est un marché très fréquenté. Qui va pouvoir se souvenir d'une jeune fille au physique insignifiant dans la foule compacte et pressée d'un lundi matin ?

— J'en ai conscience, mais il faut bien tenter quelque chose et qui sait, il suffit d'une personne attentive aux autres. J'ai entendu dire que certains photographes aiment y traîner et prendre des photos sur le vif. J'ai vu un jour une exposition d'un jeune amateur sur les grilles du Jardin du Luxembourg, des belles scènes de vie quotidienne, alors tentons notre chance.

Arrivés sur les lieux, après avoir bravé les embouteillages, ils garèrent leur véhicule près d'une des entrées rue de Bretagne. Ce marché, un des plus vieux de la capitale, datant de 1628 anciennement appelé Petit marché du Marais, classé monument historique, menacé de destruction, faisait aujourd'hui le bonheur des habitants du quartier et des touristes.

Il faut savoir apprécier l'ambiance des marchés couverts, les odeurs qui s'y mêlent émanant des étals de fruits et légumes, de fromages, viandes et poissons, les harangues des commerçants vantant la qualité de leur marchandise, et les prix défiant toute concurrence. Il ne faut pas être agoraphobe et supporter de côtoyer la foule. Pour qui aime cette ambiance particulière c'est un endroit magique.

Des femmes jeunes sveltes et élancées vêtues de couleurs chatoyantes y côtoient des petites grands-mères ratinées enserrés dans des vestes sombres tirant derrière elles les caddies redevenus à la mode dans lesquels elles rangent précautionneusement leurs achats, les articles les plus fragiles sur le dessus, les jeunes préférant les grands cabas bariolés aux couleurs vives.

Ici on se tutoyait entre habitués, certains touristes flemmardaient photographiant les étals de pamplemousses et oranges du Portugal, d'autres goûtaient les fruits proposés par les marchands ou le saucisson de sanglier du stand de spécialités Corse.

— Un drôle de lieu de rendez-vous pour une jeune fille et un garçon, tu ne trouves pas ? s'étonnait Laurie. J'aurais plutôt pensé qu'il l'attirerait dans un bar populaire autour d'un verre comme au Café des Anges, reprit-elle. Pourquoi donc ici ?

— Franchement je dois avouer que toute cette affaire me déconcerte. Je ne comprends pas les liens possibles, de plus, nous avons retrouvé la victime à Montmartre dans la cave d'un vignoble dans lequel il n'est pas très aisé de pénétrer, alors qu'il a jeté les autres dans la rue, lui répondit Stéphane. Montrons sa photo.

Mais une demi-heure plus tard ils sortaientbredouilles, face aux hochements de tête négatifs. Personne ne se souvenait deEmma, marchands et clients confondus. Stéphane et Laurie dépités prirent lechemin de la sortie Rue de Beauce. Il leur fallait remonter vers rue deBretagne pour retrouver leur voiture en stationnement. La cloche d'une églisetoute proche sonnait midi et les odeurs appétissantes diffuses émanant du bar àvin Les enfants rouges, titillantleurs papilles, Stéphane proposa à Laurie de faire une pause. A peine installésen terrasse de ce restaurant construit sur le site d'un ancien couvent et nemanquant pas d'originalité, les propriétaires, d'origine asiatique, proposaientune cuisine typiquement française. Laurie se vit interpeller par un jeune hommed'une trentaine d'années lui demandant l'autorisation de la photographier. Illeur expliqua sa démarche et les deux enquêteurs se regardèrent, qui sait lachance venait peut-être de tourner, le jeune amateur de photos battaitrégulèrent le pavé de ce quartier et plus particulièrement le marché à larecherche de visages et des scènes cocasses.    

Jeunesse en dangerWhere stories live. Discover now