Il est nuit lorsque les portes claquentune nouvelle fois, emportant avec elles les bribes de l'enfancebafouée qui fut la mienne. J'ai cette haine viscérale pour lesêtres qui ne se tolèrent pas, et c'est certainement quelque chosequi ne sera jamais compris dans cet espace clos que l'on appellefoyer familial.
J'ai vingt ans depuis quelques mois,mais comme l'enfant que je fus, que je suis, et que je resterai, jeme blottis sous les draps, les tripes en feu, arrosée d'essence parles mots qui s'élèvent dans le couloir de l'appartement. J'aiappris depuis le temps, à devenir ce combustible du groupe. Cettepersonne qui alimentent souvent involontairement le feu des disputes,et qui paniquent lorsqu'elle se rend compte que c'est allé bien troploin.Alors les heures s'écouleront en apnée, le temps que le calmerepose son ombre douce sur les trois pièces du petit cocon qui a vuse dérouler les pires drames.
Et c'est seulement une fois le silenceinstallé, les ronflements résonnant dans l'antre des quatre êtresbrisés chacun à leur manière que je me relève. La lumière del'écran portable caressant mes mains alors que je pose des mots surdes secrets restés mien pendant longtemps, exprimant les craintes etles peurs. J'aime à croire que dans ces heures vides de la nuit,m'exprimer permet de composer avec mes propres insécurités. Je neconnais pas les leurs, je ne viens pas d'une famille où parler estmonnaie courante. On les devine à travers des esquisses de récitssans pour autant poser les mos sur ce qui fait mal hormis sous lacolère et sa volonté destructrice.
Alors jusqu'à cinq heures du matin, jecompose avant de m'endormir à cette heure bénie où le mondes'éveille enfin. Il m'est impossible de dormir la nuit tant j'aipeur de ne pas y survivre. Fermer les yeux lorsque les êtress'agitent ailleurs a quelque chose de rassurant. Les bruits assurentque même dans le sommeil le plus profond, la solitude n'est jamaisréellement véritable.
Et à neuf heures, lorsque le réveilsonne parce qu'il est devenu habituel, il me faut quelques minutes depréparation psychologique avant d'ouvrir enfin cette porte qui mènesur le monde et ses agressions constante. J'ai parfois l'impressionqu'ouvrir cette porte, c'est quitter encore une fois un espacesécurisant pour accepter de recevoir en plein poumons une poignéede verre pilé dès la première inspiration à l'extérieur. Torturenécessaire pour ne pas se flétrir, et pour se maintenir en vie parces besoins rudimentaires qui se sont fait absolus depuis quelquestemps déjà. Rythmer ses journées par l'alimentation, les crises depaniques, celles d'euphories, dormir un peu, aller aux toilettes,puis recommencer le lendemain.
J'accepte les regards parfois hostileslorsque mon corps descend l'escalier, plus par automatisme que parréelle envie, j'ai cette impression permanente de voir dans vos yeuxune accusation, un reproche vis-à-vis de mon mal être. Je m'inventeprobablement des ennemis à combattre dans vos yeux, mais lasensation est immédiate. Celle de me sentir encore coupable de toutecette bile noire qui me colle à la peau et qui me ralentit depuistellement longtemps. Et comme à chaque claque émotionnelle, j'ail'impression de sentir encore ses doigts sur ma peau, mais les motsne sortent pas, il n'y aura que le raclement de la chaise sur lecarrelage pour répondre à vos bonjour. Ce bruit insupportable, mêléà une réponse qui franchira la gorge serrée tant par l'angoisseque le manque de sommeil.
J'aimais l'été, avant, c'était lesrires, les pleurs et les retrouvailles, mais sans savoir pourquoi, jen'y arrive plus, je suis présente sans l'être, je rigole et jepleure plus par automatismes qu'autre chose. Le travail pour prévoirun retour dans la capitale, une ville que j'apprivoise tant bien quemal, parce que je veux la faire mienne autant qu'elle me rejette. Etseptembre qui approche, un retour involontaire à la solitude forcée,avec l'espoir cette fois de réussir à franchir un peu plus que laporte de l'université. Parce qu'il est temps de préparer un aveniren lequel ma génération ne croit plus depuis longtemps.
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Errances Nocturnes
Non-FictionTribulations, errances et perte du réel dans les creux de la nuit. Recherche involontaire de soi même au fond des caniveaux parisiens. des mots qui ne se suivent pas mais qui ont besoin d'être posés, entre trois et quatre heures du matin