Double-Veste.

Chapitre 3

Une lourde masse s'écrasa violemment sur son torse. Luth, encore sous l'emprise du sommeil, protégea machinalement son visage avec ses bras engourdis. Ses paupières, que le réveil soudain avait prises au dépourvu, le brûlèrent presque lorsqu'il tenta d'ouvrir les yeux. Après un bref silence, une voix qui s'apparentait davantage à un grognement bestial murmura :

« Ta valise, gars. » Luth réussit enfin à faire marcher ses globes oculaires. Au-dessus de lui, Ted le toisait. Il semblait à bout de nerfs. D'énormes cernes entouraient ses yeux épuisés, et son corps enveloppé dans l'uniforme règlementaire se fondait dans la pénombre.

« Tu... tu ne pouvais pas la poser à côté... ? » marmonna le garçon. Il ajouta : « Bordel, il est quelle heure ? »

« Quatre heures. Mais on a eu un inconvénient. Le boss a décalé l'intervention. On n'opère plus à Klonway mais au port d'Avelton, qui est beaucoup plus loin de la tranchée. » Ted paraissait on ne peut plus sérieux. La fatigue qui se lisait sur son visage traduisait plusieurs heures de travail nocturne, certainement consacrées à la planification du nouveau programme.

« La mer ? s'enquit Luth. Mais c'est au moins à... »

« Plusieurs heures de trajet. Donc tu te changes en vitesse, et tu montes dans le van du Hall-trois. » L'homme-zombie tourna les talons et quitta les lieux d'un pas chancelant. Dans un premier temps Luth ne l'avait pas remarqué, mais la tranchée bourdonnait d'activité. Dans le dortoir, une demi-douzaine de personnes dont Erwann, certainement des ''Bras'', se changeaient et exprimaient leur mécontentement à travers quelques grognements. Le garçon supposa qu'ils s'étaient couchés après lui la veille, ce qui expliquait le fait qu'il ne les ait pas vu auparavant. Il s'étonna par conséquent de leur promptitude à se lever. Au dehors, plusieurs personnes s'attelaient à différentes tâches, dont le transport de mystérieux objets protégés par d'immenses bâches opaques. Ces derniers semblaient fragiles, et étaient posés précautionneusement sur de solides chariots en métal. Une question de plus à ajouter à la liste que Luth trouvait déjà diablement longue. Réprimant la fatigue et la chaleur discutable du lit sur lequel il était assis, il se leva, déboutonna son pantalon, et enfila la combinaison noire. Il attacha le gilet de protection -qu'il trouva soudain beaucoup plus lourd que la veille- par-dessus et empoigna son arme, terriblement inoffensive. Une voix s'éleva :

« Oh, le nouveau ! »

Luth se retourna. Un homme d'une quarantaine d'années lui lança une gourde et une barre énergétique. Le garçon, qui tenait fermement son arme, les vit s'écraser à ses pieds. Il remercia l'homme d'un bref signe de tête, puis ramassa les précieuses ressources et les introduisit dans les poches de sa combinaison, après avoir jeté un œil à l'emballage de la nourriture. Celle-ci comportait un grand nombre de substances aux noms interminables dont le garçon n'avait jamais entendu parler. N'ayant aucune idée de l'emplacement du Hall-trois, il suivit les autres Bras qui se dirigeaient à l'extérieur du dortoir. Le petit groupe arpenta un certain nombre de couloirs avant d'arriver dans une petite pièce qui ne comportait que quelques chaises, un réfrigérateur neuf, et un minuscule écriteau sur lequel on peinait à lire les deux seuls caractères inscrits : "H3''. Luth chercha Erwann des yeux et l'interpela. Il paraissait plus fatigué que ses compagnons. D'énormes cernes mettaient en valeur ses yeux injectés de sang. « Hum, quoi ? » murmura-t-il, l'air agacé.

« Comment vous arrivez à vous repérer ici ? C'est grand, et il y a autant de panneaux que de cheveux sur la tête de Ted... » Luth s'était résigné à user un peu d'humour, afin d'attirer les sympathies de ceux qu'il devait à présent considérer comme ses collègues. Erwann s'approcha de lui, et lui tapota le crâne.

« T'es pas vraiment mieux loti que lui, tu sais... ? » déclara-t-il d'une voix enrouée. Le garçon lui sourit poliment.

« Mais vous n'avez pas des cartes, ou, je ne sais pas, des moyens mémo-technique pour trouver la sortie ? » insista-t-il. À vrai dire, l'idée d'un labyrinthe hanté par des soldats qui n'avait du visage que le nom le terrifiait. Il se sentait impuissant, sous l'emprise d'un endroit hostile. Les quelques employés silencieux qui travaillaient dans les bureaux, ou transportaient de mystérieux objets ne lui inspiraient guère plus de confiance.