Bienvenue en Forêt Noire

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Je n'étais pas redescendue de la soirée, même pas pour dîner. Cette brusque initiative de m'envoyer me perdre au fin fond de l'Allemagne m'avait coupé l'appétit. Je m'endormis d'un sommeil agité, en me disant que ma mère serait calmée le lendemain matin et qu'elle changerait d'avis. Eh bien je vous le donne en mille, quand je suis descendue pour prendre mon petit déjeuner, je la trouvait encore plus résolue que la veille, bien que le discours avait changé du tout au tout.

"Tu pourras t'entraîner à parler allemand avec les autochtones ! disait-elle maintenant, enthousiasmée par son idée qu'elle n'hésitait pas à qualifier elle même de "brillante", cela te fera du bien ! On pourrait même espérer que ça te fasse passer la barre des dix de moyenne l'année prochaine..."

L'attaque était frontale, à peine déguisée, mais je l'esquivais avec un flegme et un soupir de dédain tout calculé. C'en était fini de mes espoirs de rester bien tranquillement chez moi. Il fallait que je me résolve à accepter mon triste sort. Ainsi, vingt minutes plus tard, nous étions sur le quai de la gare du village. Le train arriva avec peine et surtout avec dix minutes de retard. Je me demandais comment un tel tortillard pouvait encore être en circulation. C'était un train tout ce qu'il y avait de plus antique, avec des wagons reliés les uns aux autres, le tout tracté par une locomotive dont la peinture noir connaissait un état d'usure égal à celui de sa cheminée rouillée. Lorsque le serpent à fenêtre centenaire se fut complètement immobilisé, en lâchant un énorme jet de vapeur, comme si c'eut été son dernier soupir, un homme en uniforme bleu marine sortit du premier wagon et se mit en devoir de faire des annonces :

"Mesdames, mesdemoiselles, messieurs ! Le train baptisé Redford Express qui vient d'arriver en gare sera immobilisé pour la prochaine demi-heure ! Veuillez, en attendant de repartir, vous enregistrer auprès de mes collègues ou de moi-même ! Ce train partira a destination de la SchwarzWald, autrement dit la très célèbre Forêt Noire allemande ! Merci de votre compréhension !"

Il avait débité son petit speech d'une voix forte bien que fatiguée par l'âge. Et sa voix n'était pas la seule à avoir été victime du temps. En nous approchant de lui pour que ma mère puisse m'enregistrer à bord de ce maudit train, je remarquais qu'il avait de profondes rides, accentuées par le fait qu'il souriait tout le temps. Et le signe le plus indiscutable de son âge avancé était la grosse moustache blanche qu'il semblait porter fièrement et dont il prenait, et cela se voyait, grand soin.

"Eh bonjour petite ! me dit-il tandis que je m'approchais de lui, ma mère dans mon dos, bonjour Madame" salua-t-il ma mère en soulevant son képi de chef de gare.

Encore un inconditionnel du "Madame" ... Qu'ont-ils tous avec ce mot ?

"C'est pour enregistrer ma fille s'il vous plait, mon brave" déclara ma mère.

Le brave se mit à fouiller dans une espèce de petite sacoche. Il en sortit un petit calepin et demanda à ma mère mon passeport. Elle lui tendit et, pendant un temps qui me sembla relativement long, le brave chef de gare moustachu, consulta la page où s'étalait mon identité.

"Pallas Mcmorlann, lu-t-il avec quelques difficultés, ce n'est pas un nom très commun ça ma petite"

Autant le notaire me tapait sur les nerfs avec ses "Madames" à tout bout de champs, autant lui me chauffait les oreilles avec ses "ma petite".

"Apprenez, monsieur, lui dis-je un brin pincée, que j'ai bientôt dix huit ans et que mon nom découle de l'emblème même de la femme dans toute sa puissance, à savoir Pallas, le nom de la dame de pique dans un jeu de carte traditionnel !"

Mon énervement paru le faire sourire encore davantage et du coup, cela me courrouça encore un peu plus. Je ne dis plus rien jusqu'à ce que mon enregistrement fût terminé. Moustachu s'occupa des autres passagers et je dû attendre encore une dizaine de minutes avant qu'ils nous autorisent à monter dans le Redford Express, qui ne semblait pas si express que ça. Autant l'extérieur n'inspirait pas confiance, autant l'intérieur réservait une agréable surprise : on se serait crus entrés dans un immense cocon douillet. Les sièges étaient tout en velours rouge et en bois laqué, le sol était recouvert d'un épais tapis qui avait eut la délicatesse de garder tout son moelleux et de ne pas s'élimer avec le temps, les fenêtres étaient propres, sans aucunes traces de doigts ou marque d'usure, on aurait presque dit que le train avait été remis à neuf mais uniquement de l'intérieur. La perspective de voyager plusieurs heures durant dans ce qui représentait pour moi un véritable luxe me dérida et me fit même entrouvrir légèrement la bouche, ébahie. J'avançais, comme tout le monde, surprise du confort qu'offrait ce train et je ne pus retenir une exclamation lorsque je vis sur un panonceau que j'étais, ici, en deuxième classe. Maman ne m'en voulait pas tant que ça et m'avait réservé un billet en première. C'est ainsi que je franchis la porte en bois verni qui séparait les deux classes et que je constatais que la première était composée uniquement de compartiments. Je regardais la place qui m'avait été attribuée : numéro huit, compartiment quatre. Je m'y rendis donc. Ça n'était pas mentir que de dire que je n'avais rien vu qui ai autant de classe que ce compartiment. Tout n'était que velours et moquette épaisse, encore plus confortable et moelleux que la seconde classe. Des rideaux de soie blanche encadraient une fenêtre parfaitement propre elle aussi. Je m'installais, des étoiles pleins les yeux, promenant ces derniers tout autour de moi et touchant, furetant, soulevant tout ce que je pouvais tant que j'étais la seule dans mon compartiment. Je ne pensais plus du tout ni à ma mère, ni au contrôleur qui m'avait fait si mauvaise impression sur le quai. Je respirais à peine, comme si mon souffle avait pu abîmer ce si bel endroit. Je fus arrachée de ma contemplation par les secousses du train qui s'ébranlait. J'observais le quai depuis la fenêtre pour faire un dernier signe à ma mère, mais il n'y avais déjà plus aucune trace d'elle. Cela me fit repenser à cette soudaine décision de m'envoyer moisir toute seule en Forêt Noire. C'était curieux tout de même. C'était arrivé si vite ... Et puis ça n'était pas du tout le genre de Maman de m'envoyer quelque part toute seule. Enfin, j'essayais de ne plus penser à tout ceci, cela promettais de me mettre encore en rogne. Pour me distraire, j'attrapais un journal qui était soigneusement plié et qui avait probablement été oublié là par un autre voyageur. C'était celui d'aujourd'hui. Je le dépliais et en lu le gros titre : TROISIÈME CADAVRE EN TROIS MOIS. En dessous on pouvait lire une remarque faîte à la délicate attention des forces de l'ordre : " Mais que fait la police ?!" Je dépliais le canard et me mit à lire le récit de ce troisième meurtre avec avidité : les histoires de crimes, moi, ça me passionne ! Il était relaté ceci :

Le Castel de LongueVieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant