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19h17 - Je contemple, assise sur mon lit, le numéro que Jade a soigneusement écrit sur la paume de ma main. Chaque chiffre est net, l'écriture est arrondie. Je me tâte. Est-ce trop tôt pour lui envoyer un message ? J'attrape mon téléphone et saute le pas :

Roxane : Salut, c'est Roxane

Voilà. Neutre, il faut rester neutre. Il n'est pas question de la harceler dès maintenant.

Jade : Coucou, comment tu vas ? 😉

Aïe, ce clin d'œil me transperse le cœur, dans le bon sens. Compte-t-elle être séduisante dans le monde virtuel, en plus de me happer lorsqu'elle se trouve face à moi ?

Roxane : Ça va et toi ? 😊 Pas trop dure la reprise de cet aprèm' ?

Jade : Non, c'est bon, et puis ça me plaît ce que j'étudie. Tu me feras part de tes impressions sur la fac à l'occas'. Ça te dit de me retrouver à la pause demain ?

Roxane : Oui 😊

Jade : Parfait 😉 À demain alors, repose-toi bien

Roxane : Merci, toi aussi ♡ 

Ouh là ! Qu'est-ce que j'ai fait ? Je ne sais pas ce qui m'a pris, mon doigt a sélectionné le cœur comme si cela allait de soi. Un élan de reconnaissance - d'amour, peut-être - s'est emparé de moi, et l'emploi de cette émoticône fatale a été plus fort que ma raison. Je me suis grillée toute seule ; avec un cœur rouge en plus, n'en déplaise au cœur jaune de l'amitié. BIP.

Jade : ♡ 

Ouf ! Elle me renvoie la balle. C'est dans la poche. Je n'ai fourni aucun effort qu'elle m'offre d'elle-même une chance de la revoir. Cette idée me décoche un sourire. Je sors de ma chambre revigorée dans l'optique de me préparer le repas. Je passe en revue le contenu des étagères : riz complet, lentilles, pâtes, haricots...

- Alors, Roxane l'âne, ce premier jour de cours ? Tu as repéré des beaux mâles ?

Ma sœur a fait son entrée dans le salon, une serviette de bain enroulée sur la tête et son fidèle iPhone à la main. Facile de l'identifier avec son humour digne des blagues de Carambar et ses mots à l'aspect cru. Je lui adresse une grimace forcée, tirée de mes ambitions culinaires. Le monde se porterait mieux si elle se préoccupait de ses affaires, surtout qu'elle ne fait preuve de respect que très partiellement. En dépit de ma volonté, elle insiste, ravie d'enfoncer le couteau dans la plaie.

- T'es encore célibataire à 17 ans. Ça craint !

- Je n'ai pas été prévenue de la sortie d'une nouvelle charte qui indique qu'on doit s'être casé avant ses 15 ans, sous peine d'amende si on dépasse le délai ?

- Pfff, n'importe quoi. Il suffit de regarder autour de soi : toutes les filles de 12 ans, à peine rentrées en Cinquième, sont en couple.

- Et alors ? Je dois être un mouton, suivre la norme apparente pour me donner une bonne image ?

- Eh, je suis plus petite que toi, et regarde-moi...

- Ça m'intéresse pas de savoir que ton Kélian te soulève trois fois par jour.

- T'es jalouse, en vrai.

- Jalouse de quoi ?

- Ben, de pas avoir trouvé le bon !

Dire qu'elle est agaçante d'un iota est un euphémisme. J'emploierais plutôt le mot imbuvable pour qualifier son comportement. Et puis, quel cliché qui sort de sa bouche ! Je décide de sortir faire un jogging afin d'évacuer le surplus d'émotions. J'enfile baskets, survêtement, et déniche un élastique pour me faire une modeste queue de cheval ; me voilà parée. Je me rends à allure réduite à l'entrée du parc en priant pour ne croiser aucune personne compromettante durant ma course. J'inspire une longue bouffée d'air et démarre en trombe, mes écouteurs divulguant les mélodies les plus à même de m'inciter à l'effort. Les arbres, l'étang, les piétons, tout défile dans mon champ de vision, la sueur perle déjà sur mon front et, étrangement, Jade est le seul prénom qui résonne en moi.