On se pose sous un arbre susceptible de nous offrir un peu d'ombre. Jade s'assied et, me voyant bâiller :
- Tu es fatiguée ?
- J'ai pas trop dormi cette nuit. Mes chats ont rapporté un merle dans l'appart', à trois heures du mat' ma mère essayait de le faire sortir. J'ai pas été épargnée de ses cris.
Elle éclate de rire avec une certaine grâce, comme à son habitude.
- Moh, allonge-toi ici alors. Mets ta tête sur mes genoux, tu seras mieux, m'intime-t-elle en m'indiquant ses cuisses pour me faire signe de m'y installer.
J'en tremble presque. J'obtempère, sous son œil incitatif. Ma joue effleure désormais la fibre délicate du tissu de son jean. Tous mes sens sont en éveil ; Jade m'octroie une caresse, ce qui me fait frémir. Je finis par m'étendre sur le dos, son visage au-dessus du mien. On parle de tout et de rien, isolées du tumulte des étudiants, avec pour seul accompagnement le chant frivole des oiseaux.
- Parfois, il faut mieux se montrer objectif. Par exemple, au lieu de dire : « La musique classique, c'est nul », il vaut mieux parler à titre personnel et dire : « Je suis pas fan de ce genre de musique ».
- C'est sûr ; comme dirait ma pote Apolline : « On discute pas des goûts et des couleurs ».
- Exactement. Je trouve ça dommage que les gens émettent autant de jugements de valeur.
- Oui. Ils campent sur leurs positions, et puis, ils font les sourds.
Jade me détaille minutieusement, les pupilles dilatées malgré la clarté de l'environnement alentour. La couleur de l'iris, un mélange de bleu et de vert, rend son regard perçant, sauvage, mais si réconfortant. Le volcan qui brûle sourdement en moi se met à crépiter lorsque, de façon fortuite, elle prononce ces mots :
- T'es adorable.
Mon cœur rate un battement ; peut-être deux, ou trois. J'observe ses cheveux blonds qui tombent en cascade subtile sur sa poitrine. Mes doigts viennent jouer avec quelques-unes de ses mèches, les enroulant autour d'eux, les tirant à peine. Je lâche, dans un murmure :
- T'es jolie...
- Qu'est-ce que t'as dit ?
- Hein ? J'ai déjà oublié.
Elle ne peut s'empêcher de sourire.
- Arrête tes bêtises. J'ai tout entendu.
Sa main passe sur mon front et s'attarde dans mes cheveux. Je rétorque, en plaisantant :
- C'est pas une raison pour monter sur tes grands chevaux !
- C'est pas mon genre.
Le temps passe mais il n'a aucun impact sur moi ; il ne m'use pas, ne me fatigue pas, ne me terrasse pas. Avec Jade, chaque seconde est vivifiante. Toutefois, le dernier cours de la journée nous appelle ; on se lève, légèrement engourdies, pour se dire au revoir.
- À plus tard, m'a-t-elle dit.
- À plus.
Jeudi 13 septembre, 12h08 - Je me faufile parmi la foule, pressée de sortir de l'amphi' et d'aller grignoter un morceau. J'emprunte un petit sentier recouvert de gravillons jaunâtres qui longe la faculté de Jade et qui aboutit à une cafétéria, probablement pleine à craquer à cette heure de pointe.
- Hep ! Roxane !
Corentin accourt, essoufflé. Je m'arrête dans l'optique de lui faire la bise, désirant faire preuve d'un peu de courtoisie. Contre toute attente, il saisit mes poignets, s'approche dangereusement de ma bouche et, dans un élan, m'embrasse fougueusement. Je n'ai pas le temps de me débattre ; il me tient prisonnière une seule seconde et s'enfuit.
- Qu'est-ce que...
Je n'arrive pas à réagir, secouée. Certains témoins de la scène, dispatchés ça et là, me considèrent d'un air incrédule. Je passe sûrement pour une idiote. Une bouffée de haine m'envahit. Je ne suis pas la propriété de Corentin, merde.
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A193
RomansaRoxane rentre à l'université. Une rencontre en apparence anodine va modifier la tournure de son monde.