Chapitre 2 : Amaro

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J'étais petite : pas assez grande pour que ma tête dépassât de l'étal. L'avantage était que je pouvais attraper un fruit sans avoir à me baisser. Le désavantage, que je ne voyais pas le marchand. Placée discrètement sous la table, je glissai ma main vers les paniers de fruits au-dessus de moi. Ma petite main remua quelques instants dans le vide puis je l'apposai sur un objet relativement rond et à peine rugueux. Je le ramenai aussi furtivement que possible à moi, avant de reculer un peu pour disparaître complètement sous l'éventaire. C'est alors que mes yeux se posèrent sur lui. L'homme habillé d'un costard, d'une cravate, d'une chemise, d'une paire de lunettes et d'un chapeau noirs qui me regardait depuis le trottoir d'en face. Il avait vu mon geste. Je savais qu'il allait me dénoncer.

Pourtant, il ne faisait rien. Même quand ces hommes bien vêtus s'approchèrent de lui pour lui murmurer à l'oreille, il resta immobile et continua de me regarder. Les hommes le pressèrent, mais il conserva son immuable position. Profitant de son inaction, je décidai de mettre en application le plan que j'avais soigneusement préparé. Je détachai le foulard autour de mon cou, le mis en boule et le fis rentrer dans ma poche, je fis rouler l'orange jusqu'à une voiture et attendis. Quelques secondes plus tard, une petite main, de la même taille que la mienne, attrapa le fruit avant de disparaître. Alors que je savais le propriétaire de la main qui avait récupéré le fruit partir dans une direction, je sortis de sous la table, me mis à courir dans l'autre.

Le marchand cria au voleur en me voyant sortir de sous sa devanture et je fus bientôt attrapée brutalement par le tee-shirt. On fouilla mes poches. On ne trouva rien d'autre que mon foulard. Pourtant, le commerçant refusa de me laisser partir. Il détestait les petites canailles dans mon genre. L'homme qui se tenait jusque-là sur le trottoir d'en face apparut alors derrière lui. Il était grand. Il surplombait le vendeur de toute sa taille.

—  Que voulez-vous à ma fille ? demanda-t-il d'une voix grave.

Mon agresseur eut la sagesse de se faire tout petit et bafouilla quelques mots inintelligiblement. Finalement, il s'en alla. Mon bienfaiteur s'accroupit pour être à mon niveau.

—  Comment t'appelles-tu ? s'enquit-il sereinement.

— Bérénice, répondis-je avec un froncement de sourcils après quelques secondes de silence.

— Tu n'as pas de nom de famille ?

Je secouai négativement la tête avec un regard triste.

— Pour qui était cette orange ?

Je l'examinai avec de grands yeux avant de répondre :

— Diego. Il est trop jeune pour se servir lui-même.

L'homme sourit comme s'il approuvait ce que je venais de dire. Il tendit sa main. Ses doigts, bien que larges, étaient gracieux. Après une courte seconde d'hésitation, je posai timidement ma petite main dans la sienne.

— Bérénice Amaro, je te souhaite la bienvenue dans ma famille.     

Le sang n'est rienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant