Le cours de maths se passe sans nouvel accro comme le reste de la matinée. Ici, l'organisation est un peu différente, les classes ne sont pas faites par option, donc on change de groupe pratiquement à chaque cours : mes camarades de maths ne sont pas les mêmes que mes camarades de littérature étrangère... ce qui me complique la tâche parce que c'est plus difficile de nouer une relation et parce que je me perds tout le temps d'une salle à l'autre sans pouvoir suivre une masse d'élève informe que j'identifierais comme ma classe. Mais je suis aussi soulagée de ne pas retrouver la brune aux grands yeux verts dans le cours suivant, encore mal à l'aise de ce qui s'est passé.
Malgré une classe disloquée tout le monde se retrouve d'un cours à l'autre... puisque tout le monde se connait. Impossible de trouver une cible seule avec qui je pourrais nouer un premier contact. Dans cet endroit, on dirait qu'il n'y a même pas de bizus solitaires et mis à l'écart. De cette observation découle deux hypothèses : où les rejetés se sont tous suicidés et il ne reste que les populaires, ou alors je suis dans le seul établissement du pays qui a réussi une intégration parfaite... ou presque, si on ne me compte pas.
Puisqu'il n'y a pas de solitaire, il n'y a pas non plus de table de solitaire à la cafétéria. Ce qui dans l'idée est génial mais qui ne m'arrange, encore une fois, pas des masses. Voyez le tableau pathétique et cliché : je suis avec mon plateau à la main, seule (hein), et je cherche des yeux, planté au milieu du self une place libre un peu en retrait. Le meilleur moyen de me faire remarquer en somme. Les regards se tournent petit à petit vers moi : méprisant, plein de pitié, indifférent, soupçonneux, interloqué... j'ai devant moi un panel d'émotion que je ne suis pas habituée à susciter. Pas toutes en même temps, du moins. Je m'avance vers une table moins nombreuses que les autres, et m'assois quelques chaises plus loin. Je commence à manger sans lever le nez, comme si j'étais super à l'aise dans la position la plus inconfortable d'une scolarité. Les conversations reprennent doucement et j'entends rire, cris, exclamations se mélanger. Ouf.
Je décide un regard vers le groupe à côté de moi, c'est le clan des papouilles de ce matin. Ceux qui se touchent, sont super tactiles et prennent beaucoup de place. Je commence à les étudier avec un peu de fascination. Je tire un carnet de mon sac et griffonne mes modestes observations, essayant de dresser un portrait exactes de chacun.
Le groupe ne présente aucune cohésion dans le style vestimentaire, ils sont une dizaine et n'ont de prime abords aucun points commun si ce n'est une tranche d'âge. Ils parlent assez fort, avec des voix qui portent et qui donne l'impression qu'on à affaire aux rois et reine du bal. Ce qui les réunit est peut-être une plus grande confiance en eux que la moyenne national.
Je remarque ensuite la brune au regard vert, parmi eux, probablement moins bavarde que les autres. Son attitude se rapproche de celle du cours de maths, avachi sur son siège, les mains dans les poches, le regard appuyé sur son groupe qu'elle observe autant que moins.
Les individus qui composent le groupe ont effectivement tous un "truc en plus" mais qui est propre à chacun. La brune aux yeux verts observe beaucoup, et donne son avis uniquement avec des expressions du visage. Elle est discrète et pourtant les autres membres du groupe gravite autour de son avis muet.
Je termine ma phrase pour relever la tête et continuer mes observations quand je croise son regard tranchant qui ne me lâche pas. Je le soutiens quelques secondes avant de fermer mon carnet, honteuse, et de prendre mon sac et mon plateau pour filer. Quand je jette un dernier coup d'oeil vers la table j'aperçois la grande brune en train de chuchoter à l'oreille d'un mec de la bande qui me fixe à son tour en plissant les yeux. Il me dévisage de haut en bas, puis de bas en haut avec de bloquer son regard au dessus de ma tête. Quand je lève les yeux, il n'y a rien au dessus de moi. Je décampe en vitesse avant qu'une confrontation n'arrive.
Je m'enferme dans les toilettes et respire enfin, soulagée d'avoir éviter quelque chose sans trop savoir quoi. Ce groupe est définitivement un peu bizarre et très... intense. On a envie d'être ami avec eux et en même temps ils sont hyper flippants... et tous très beaux. Je sors mon carnet en m'asseyant sur le couvercle des toilettes et écrit, mon carnet sur les genoux.
Le point commun réside peut-être dans leur physique ; chaque membre du groupe correspondant à une beauté qui n'est pas canonique mais cependant indiscutable. Physique et confiance en soi allant probablement de pair dans notre société.
* Putain, Kam, t'es en train d'écrire dans les toilettes des observations sur des gens que tu connais pas, comme une collégienne écrirait dans son journal intime tellement elle se sent seule. C'est pathétique. *
J'essaye de me rassurer en me disant que je ne suis pas la seule, puisque les murs des WC sont pleins de graffiti et autres formes d'arts. Des messages d'amours, des dessins, des initiales et des dates. Sur la porte, il y a même une immense lune en forme de croissant plutôt bien faite avec des jeux d'ombres et de lumières. Elle ressemble étrangement à celle que j'ai dans la nuque après la naissance de mes cheveux. Pas si étrange que ça si on sait que j'ai trouvé l'inspiration sur internet pour ce tatouage.
Je secoue la tête, il faut vraiment que je me détende, la nouveauté ne me réussit apparemment pas. Je deviens parano et ce qui s'est passé à la cafét' était le fruit de mon imagination.
Je sors des toilettes et ravale tout ce que je viens de penser. Le mec a qui parlait la brune est planté devant moi et me regarde la tête penchée sur le côté. Je me stoppe dans mon élan et fais le truc le plus débile du monde... je referme la porte sur moi et retourne dans la cabine. Bravo, Kam ! Je suis donc enfermée dans les toilettes, humiliée et coincée, comme une proie dans une battue. La sonnerie retentit pour ajouter à mon malaise. Je vais devoir sortir si je ne veux pas sécher le premier jour. Et encore ! Sécher à la limite... mais sécher pour rester enfermée dans les toilettes, bof. Je sors mon agenda pour connaître la salle où je dois me retrouver dans quelques secondes. J'ai un plan : sortir des toilettes et nier avoir agi comme une débile quelques secondes avant, passer devant ce mec sans faire attention, et me diriger droit vers ma salle sans me retourner. Ce qui veux dire savoir où je vais et ne pas me perdre. Merde, faut aussi que je me lave les mains, c'est la moindre des choses en sortant des toilettes. Allez, respire et fonce. On zappera l'étape des trente secondes de nettoyage exceptionnellement.
J'ouvre la porte en grand, déterminée et lorsque je m'avance vers les lavabos... il n'y a plus personne. Je suis toute seule dans les toilettes.
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La meute de June
WerewolfDéménager pour une légende, une histoire pseudo-écologique, sur fond de fantasme de coexistence entre nature et humanité. Voilà ce que Kamille pense lorsqu'elle débarque à June forcée par son père journaliste et écrivain. Elle qui ne croit en rien v...