II Est ce qu'on m'oubliera ?

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Et si Eugène était mort ?
La question a traversé vingt fois mon esprit depuis tout à l'heure.
La mort...
Ce n'est pas la mort qui effraie. C'est la tombe. Ce sont les petits ronds que font les larmes sur le marbre blanc. Le bruissement des graviers qu'on écrase dans les allées de cimetières.
La mort ne me fait pas peur. Il y a une vie qui ne s'arrête jamais. Une vie qui court devant nous, que nous sommes obligés de suivre.
Nous n'avons pas le choix.
Et cette vie nous force à l'oubli.

Quelqu'un meurt, nous pleurons. Nous sentons que tout a changé, que le monde est vide.
Oui, il est vide. Mais pour un instant seulement. La seconde d'après, un nouveau désir naît, puis un second, puis un troisième.
Peu à peu notre univers se peuple à nouveau de milles choses contradictoires.
On a cru mourir au monde parce que l'un d'entre nous l'a quitté.
Mais il faut simplement reconnaître que l'on survit. Ni mieux, ni plus mal qu'auparavant.
On a cru que la mort pouvait souffler la flamme de cette vie qui court, mais elle l'a à peine ralentie.
Est ce qu'on m'oubliera ?
Comme je t'ai oublié...
Qu'est ce que c'est que cette vie où tout reprend son cours dans l'indifférence des vivants pour les morts ?
Qu'est ce que c'est que cette mort dont on redoute le passage mais que notre coeur efface?

Si Octave d'Ormesson avait tué Eugène, l'aurions nous oublié si vite ?
Père et Mère qui l'ont grondé pendant une longue heure, auraient ils finalement continué de vivre ? Sûrement.
Étrange métier que celui de parent...

Tout à l'heure j'ai demandé à Raphaël de Brassac s'il m'aimait. Il a répondu Oui.
Je suis sûre qu'il ne le pense pas. Mais il me veut et pour cela il est préférable de prétendre m'aimer.

Que l'automne est beau. Lumineux et triste. Doré, calme, serein.
Une feuille tombe en tourbillonnant. Elle est petite, rouge et luisante. Je la tourne entre mes doigts.
Si l'on pouvait tout oublier.
Si plus rien n'existait que le grand calme de ce soir plein de vent.

Tu aimais tant le vent ! Sa sauvagerie, sa force. Il parlait pour toi. Tu préférais m'écouter. Avec toi je parlais sans fin.
Tu semblais parfois seulement entendre, mais ton coeur n'oubliait aucun mot, aucune virgule, aucun point de suspension.
Ce matin pluvieux où nos yeux se sont ouverts, la brise couvrait tes paroles. C'est elle qui m'a annoncé que tu m'aimais.
Les orages sont mes amis. Ils me parlent de toi. Les gouttes de pluie sont le bruissement de tes mots, éclairs de ta parole déjà enfuie.
Reviens moi.
Je t'en prie.
Mon cher, mon trop chéri, Bertrand de Ray...

A suivre...

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