Ames Soeurs

VI

- Tu es rentrée à quelle heure, hier soir?

- Je ne sais plus.

- Sam, regarde moi quand je te parle.

Je lève la tête. Ses sourcils sont froncés, mais j'ai du mal à le prendre au sérieux.

- Est-ce que tu sais à quel point nous nous sommes inquiétés?

- Nous?

- Oui, nous. Je ne rigole pas Sam. Ton petit numéro d'adolescente rebelle ne me fait pas rire. Tu as le droit de m'en vouloir, mais je reste ton père. Je ne tolérerais pas que ça se reproduise. S'il faut que je te prive de sortie pour que tu comprennes, je n'hésiterai pas.

- ...

- Sam! Tu m'écoutes?

- Oui.

- Je m'inquiètes pour toi. Sarah aussi. Je comprend que cet environnement est nouveau pour toi. Je comprend qu'il te faut du temps pour t'adapter...

- Pourquoi tu es parti?

- Je sais que tu m'en veux, mais...

- Pourquoi??

- Il faut que tu comprenne que, dans la vie, on doit faire des choix. Certains sont plus faciles à faire que d'autres, mais il n'y en a aucun sans conséquences. L'important, c'est de les assumer et moi, j'assume entièrement.

- Ce choix, il a été facile?

Il sourit tristement et baisse la tête.

- Non. Ça a probablement été le choix le plus difficile de toute ma vie.

Il relève la tête, ses yeux brillent. Petite, je croyais que les hommes ne pleuraient pas. Maintenant je réalise que c'était stupide comme pensée.

- Il y a 6 ans, j'ai rencontré Sarah. J'ai aimé ta mère. Vraiment. Sincèrement. Mais avec Sarah, il y avait quelque chose de plus. Je sais que tu t'es sentie abandonnée, mais je n'ai jamais eu l'intention de te laisser tomber.

- Tu n'as donné aucune nouvelles.

- Je...

- Tu es parti sans prévenir.

- Sam...

- Tu ne peux pas dire que tu n'avais pas "l'intention" de me laisser tomber.

- Je ne voulais pas...

- SI TU VOULAIS. On ne t'as pas forcé à partir, non plus.

- Tu es dure, Sam...

Je me lève et quitte la salle à manger. Je dois sortir. Je dois prendre l'air.

Je descends les marches devant la maison et regarde l'heure. Il est encore trop tôt pour aller au cegep. Mon cours est dans 4h. Je décide donc de me promener un peu à pied.

Je rejoins le boulevard et repère plusieurs magasins et restaurants intéressants. Je marche encore un peu avant qu'une idée me traverse l'esprit. Si je veux partir le plus tôt possible de chez mon père, je vais devoir économiser. Je dois trouver un travail. J'entre dans plusieurs magasins et restaurants. Dans certains, on me fait remplir une feuille, dans d'autre on me demande seulement mon numéro. La plupart me disent qu'ils vont me rappeler pour une entrevue, mais je sais d'avance que plus de la moitié ne le feront pas. Comme je veux mettre toutes les chances de mon côté, je continue encore pendant une bonne heure. Au bout d'un moment, je ne sais même plus dans quel magasin je suis, mais une employée me dit que son patron est prêt à me rencontrer. Maintenant. J'ai à peine le temps de comprendre ce qui se passe, que je me retrouve déjà en face de lui. Je ne m'attendais pas à passer une entrevue aujourd'hui et je me rend compte, en plus, que c'est ma première à vie. Mon cœur commence à battre si fort que j'entend à peine la première question.