Laissez-moi écrire (2018)

IV

— Quelque chose ne va pas.

Le ton que venait d'employer Aldébaran du Taureau manqua de faire sursauter son voisin de temple, alors que celui-ci s'était penché pour examiner la corne gauche de l'armure de son camarade qu'il n'avait jamais eu l'occasion de réparer une bonne fois pour toutes – la forme divine n'étant pas restée, les lacunes qu'elle avait comblées s'étaient révélées. Mū se redressa calmement et dégagea une mèche de cheveux de son visage en la rabattant derrière une de ses oreilles.

— Ce n'était pas une question, je suppose...

— Je ne parle pas de toi, quand je dis ça. Je parle du Sanctuaire, en général. Je veux bien jouer les imbéciles heureux mais au bout d'un moment, il y a des limites.

— Qu'est-ce que tu penses qu'il se passe, Aldébaran ?

Le Bélier se tenait droit face à son frère d'armes, son marteau de forgeron à la main. Le brésilien regardait son camarade droit dans les yeux, et profitait du calme des orbes de jade face à lui pour réfléchir et trouver une réponse adéquate.

— Qu'Aiolos soit devenu Pope, c'est une très bonne chose, j'en suis convaincu. Mais je pense que cette fois-ci, un danger nous menace, mais ne menace que nous-mêmes. Maintenant que nous sommes tous réunis et dans le même camp, j'ai comme l'impression qu'il y a du grabuge à prévoir alors qu'il ne se passe absolument rien. Entre Kanon qu'on est censés apprendre à connaître mais qu'on ne voit jamais, Saga qui tient plus du fantôme qu'autre chose, Shura qui reste fidèle à lui-même mais qui me donne l'impression d'être au bord du burn-out... Et puis tiens, le cosmos de Shaka... C'est la première fois que je le sens aussi perturbé. Qu'est-ce qu'il a bien pu lire dans les mondes métaphysiques pour qu'il soit dans un tel état ? Il manquerait plus qu'une autre menace divine nous tombe dessus ! Je ne comprends pas. En plus il a été le premier à vouloir un apprenti, ça ne lui ressemble pas. On est censés vivre une période de paix, on est censés avoir enfin ce qu'on voulait tous et se réconcilier, et pourtant tout a l'air plus agité encore que pendant nos plus grands conflits ! Sans qu'il ne se passe quoique ce soit pour autant.

— Comme l'air lourd qui précède l'orage... Il nous inquiète parfois plus que la tempête, dont on attend simplement la venue pour retrouver le beau temps après.

— Qu'est-ce qu'on peut bien faire, Mū ? On ne peut pas se résoudre à attendre et observer ce qui se passe, si ?

Mū croisa lentement les bras et baissa le regard vers Taurus qui attendait sagement qu'on s'occupât d'elle dans sa forme-totem. Il se souvint alors de toutes les fois où il avait dû baisser les yeux sur quelque horreur, quelque barbarie, quelque trahison, et qu'il avait dû rester là, laisser les choses se faire et attendre, le cœur serré et la gorge nouée. Cette fois, il ne ferait pas que prier sa déesse, il en était hors de question.

— Trois d'entre nous sont partis pour Asgard et ne reviendront pas avant un certain temps. Mais on peut d'ores et déjà tenter de sauver les meubles et essayer de renouer avec certains de nos frères d'armes. C'est sûr que si chacun reste chez soi les tensions ne disparaîtront pas. Depuis que je suis parti à Jamir je n'ai pas pu rire à une seule blague d'Aiolia...

— Tu veux dire ses blagues d'enfants à peine plus fines que celles qu'on trouve dans les paquets de bonbons ? Je ne pense plus qu'il en fasse. Mais j'avoue que d'y repenser, ça me rend nostalgique... avoua Aldébaran en se rappelant du petit et futur Lion hilare sous un arbre auprès de son frère qui se forçait lui-même à rire à la blague de l'oiseau migrateur* pour faire plaisir à son cadet.

— On pourrait organiser un dîner avec tous ceux qui sont là, qu'en dis-tu ? J'irai en parler à Aiolos, je pense que ça lui plaira et pour le moment, il n'est pas encore trop débordé pour se le permettre.