Chapitre 4

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—Monsieur Taumen ! Répondez moi ! hurla la psychologue pour couvrir les hurlements de son patient.

Tic, tac, tic, tac, rugissait-il dans sa transe.

—Monsieur Taumen ! Calmez vous !

L'homme ne parvenait pas à s'arrêter, il s'époummonait, de toutes ses forces :
—Tic, tac, tic, tac, tic, tac,...

Rien ne l'arrêtait. Pas même cette femme qui l'appelait désespérément depuis le début de leur entretien. Il avait quitté la bulle de folie qui avait écrasé son cerveau et rendu fou de douleur, mais il était plongé dans des souvenirs plus ténébreux encore que ses pires accès de folie. Des flashs apparaissaient dans sa tête, tout était confus. Tout se bouscula et il eut l'impression d'exploser.

Tic.
Je te déteste ! Je te déteste !
Tac.
Il va être en colère...
Tic.
Sale merdeux !
Tac.
Tu vas le regretter !
Tic.
Les pleurs.
Tac.
Un coup.
Tic.
La peur.
Tac.
Son père, devenu fou.
Tic.
Je te déteste !
Tac.
Le liquide rouge qui colorait le tapis.
Tic.
César couvert d'hématomes.
Tac.
Les si belles chaussures de papa...
Tic.
Les larmes.
Tac.
Les bandits lui tiraient dessus !
Bang.
Baboum, baboum.
Paf.
Baboum, baboum.
Bang.
Eh ! Ulysse ! Ulysse ! Réveille-toi !

La voix de son petit frère résonna si clairement dans sa tête, qu'il crut l'avoir pour de vrai en face de lui. D'un seul coup, il chassa toutes les images qui le maintenaient dans la terreur et ouvrit les yeux. Il espéra y voir son César, mais seul le visage de la psychologue lui fit face.

—Je veux voir mon frère, ordonna-t-il.

La femme écarquilla les yeux, surprise que son patient lui parle enfin. Ses sourcils foncés se soulevèrent et sa bouche s'ouvrit en un "o" parfait. Elle hocha finalement la tête avec un doux sourire.

—Oui, oui, pas de soucis. Nous allons discuter un peu tous les deux puis vous rentrerez chez-vous et pourrez le voir... D'accord ?

Le malade secoua la tête :
—Non. Vous mentez. Et très mal.

La psychologue haussa les épaules avec un air désolé :
—Bien, admettons. Vous ne rentrerez pas tout de suite, mais je peux quand même m'arranger pour que vous le voyiez. Comment s'appelle-t-il ?
—César, répondit aussitôt l'homme.

Ses yeux s'embuèrent en repensant au bout d'homme qu'il avait abandonné en partant aux études. Il ne l'avait plus vu depuis que son père avait accepté de lui donner un coup de main pour se trouver un travail.

—Il s'appelle César et il est en danger, reprit-il.

La psychologue prit quelques notes puis se retourna vers un homme debout près de l'entrée de la pièce blanche.

—Dan, j'aimerais que tu nous laisses seuls, demanda-t-elle.

Elle reçut une réponse négative de la part de l'homme qui secoua la tête sans même lui jeter un regard.

—S'il te plaît, continua-t-elle.
—Je ne peux pas madame, continuez comme si je n'étais pas là.
—Arrête de me vouvoyer... Et j'ai besoin d'une atmosphère plus détendue pour parler avec mon patient.

Ce dernier intervint, un sourire sarcastique aux lèvres :
—Patient qui vous entend encore... Et qui vous supplie de le laisser voir son frère ! Il est en danger ! En danger, je ne sais pas combien de temps il lui reste...

Le mot temps résonna en lui avec force. Vieil ami, ennemi de longue date. Il avait tenté de le dompter, sans succès.

—Quelle heure est-il ? demanda brusquement monsieur Taumen.

La psychologue jeta un rapide coup d'œil à sa montre et répondit prudemment :
—Seize heures et quart. Pourquoi ? Est-ce important monsieur ?
—Je ne sais pas.

La femme hocha doucement la tête et gribouilla dans son carnet.

—Vous ne savez plus pourquoi vous m'avez posé la question ?
—Non. Je ne sais plus si cela a de l'importance. Je ne sais plus... Je sais juste qu'il est en danger !
—Quel sorte de danger le guette ?

Un silence pesant répondit à la question. Seules les trois respirations irrégulières venaient briser le calme presque parfait qui avait envahi la pièce.

—Tic, tac, recommença l'homme.

Tic, tac, tic, tac, sa voix se cala sur le rythme des aiguilles de la montre attachée autour du poignet de la psychologue.

Cette dernière quitta sa chaise, se leva et, sans prévenir, quitta l'endroit. La porte claqua derrière elle, elle s'y adossa de l'autre côté et soupira bruyamment.

—Apportez-moi un café ordonna-t-elle. Je n'en peux plus, je n'avance pas avec lui !

Une main chaleureuse se déposa sur son épaule, signe de réconfort. Elle l' accueillit avec un sourire vain.

—Il devrait recevoir un vrai traitement en hôpital psychiatrique, s'exclama-t-elle avec force en fixant son collègue qui tentait de l'apaiser. Il y a en lui un profond traumatisme qui doit être compris et soigné. Son humeur est totalement instable, parfois il me semble lucide, très intelligent même... Mais à d'autres, on dirait une bête indomptable ! Je n'en peux plus Mike!

Elle marqua une pause, reprit son souffle et enchaîna :

—Je n'en peux plus ! répéta-t-elle les larmes aux yeux, la voix montant dans les aigus. Il... Il a agi à cause de ce qu'il a subi étant plus jeune, je ne sais pas encore tout mais je crois que ça a un rapport avec son père. Enfant il se faisait battre, j'en suis sûre, il suffit de voir sa peur, ses cicatrices, et son besoin de retrouver et protéger son frère. Mike, dis moi que tu me comprends, dis moi que les flics seront indulgents face à ses crimes, je t'en supplie !

L'intéressé ne relâcha pas le contact avec son épaule mais répondit avec fermeté :
—Tu sais bien que c'est impossible Amelia... Ils ne voudront jamais ! Tu dois réussir à l'aider ici, de ton mieux, jusqu'à ce qu'une vraie décision soit prise ! Et crois-moi, il va payer cher pour tout ce qu'il a fait, la taule sera sa seconde maison...
—Mais regarde le, regarde comme il semble fragile et perdu ! Il a besoin d'une vraie aide ! Ce n'est pas en l'enfermant au mauvais endroit que nous l'aiderons !

Amelia regarda par la fenêtre teintée. Son patient se balançait sur sa chaise, ses dents s'ouvraient et sa litanie ne cessait :
—Tic, tac, tic, tac, entendait-elle à travers la vitre.

Elle jeta un regard suppliant à son collègue Mike. Il se colla à la vitre et écouta avec peine le pauvre homme qui était assis dans l'autre pièce.

—Tic, tac, tic, tac, BOUM !

BOUMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant