L'homme lança un regard paniqué à sa montre. Tic, tac, tic, tac, répétait-elle. Il grogna, maudissant intérieurement ce bruit horrible qui avait rythmé son enfance et son adolescence.
Le métro s'arrêta brusquement et il vacilla, se retenant de justesse à la barre jaune, sûrement pleine de microbes, à laquelle ses mains s'agrippaient. Les portes s'ouvrirent aussitôt et il se jeta en avant, bouscula les autres passagers, se ruant sur la sortie. Il joua des épaules, n'offrant aucun "pardon, excusez-moi" aux personnes qu'il poussait sans ménagement.
Il n'avait pas le temps. Il devait arriver à son travail dans une minute et il lui restait un kilomètre à parcourir à pied avant de l'atteindre. Or, son patron lui avait déjà lancé un avertissement, ses retards ne seraient plus excusés, la moindre faute risquait de lui faire perdre son boulot.
Il n'osait même pas imaginer la rage de son père s'il lui annonçait qu'il avait perdu le petit job qu'il lui avait dégotté. À vingt-trois ans, encore dans les études, Ulysse n'avait rien trouvé de lui-même et s'était retrouvé obligé de demander de l'aide à l'homme qu'il haïssait le plus au monde.
"-Tiens, tiens, mon cher fils... Cela fait longtemps, tu manques terriblement à ta mère et ton frère !
-Bonjour, père, avait simplement lâché Ulysse.Un rictus paralysa la bouche du père de famille.
-Quelle froideur, fiston ! Qu'est-ce qui t'amène, si ce n'est le bonheur de me revoir ?Le jeune homme avait inspiré plusieurs fois pour se calmer, serré les poings et annoncé :
-Je me demandais si ta proposition par rapport au poste chez ton ami Oliver tenait toujours...Un immense sourire éclaira le visage sombre de l'homme aux cheveux gris, au nez tordu et à la bouche fine et pincée.
-Oui, elle tient toujours. Mais j'aimerais que tu aides financièrement ta chère famille si je t'offre le poste. Ton frère va bientôt finir sa scolarité, il faudra bien lui payer des études...
Il jeta un coup d'œil autour de lui, verifia qu'il était encore seul avec son fils aîné dans le couloir et murmura :
-Ne compte pas sur moi pour offrir mon salaire à ton merdeux de frère, il ne m'offre pas l'amour et le respect qu'un enfant doit à son père. Il a même essayé de convaincre ta mère de partir... Tu comprends que dans ces conditions, je ne peux pas lui payer d'études. Et ce n'est pas faute de l'aimer, tu le sais n'est-ce pas ?Ullysse le fusilla du regard, ses yeux bleus lançaient des éclairs et il répliqua :
-Je t'interdis de parler de César comme ça !Son père rugit :
-Ah oui ? Et tu te prends pour qui à me donner des ordres ?Sa main partit et frappa violemment la joue de son fils. Il voulut riposter, se jeta en avant, poing serré, prêt à cogner son père. Mais ce dernier, plus grand et fort que lui, attrapa sa main, tordit son bras dans son dos et le plaqua contre un mur.
Il sussura à son oreille :
-Ne fais pas le malin avec moi Ulysse, nous savons tout les deux qui est le chef ici ! Je ne veux que votre bien à tous... Compris ?
-Oui, marmonna Ulysse, joue collée contre le mur, son bras tordu lui envoyant des décharges de douleur dans l'épaule.Un silence marqua sa réponse, brisé par le son étouffé de l'imposante horloge du salon : Tic, tac, tic, tac. Et finalement, la voix du père lâcha, d'une voix satisfaite :
-Bien, très bien, mon grand. Allons saluer ta mère !Il relâcha son fils, presque avec dédain, fit volte-face, pénétra dans la cuisine et disparut du champ de vision d'Ulysse. Ce dernier recula du coin dans lequel il avait été acculé et essuya rageusement la goutte traîtresse qui dévalait sa joue gauche.
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BOUM
Short StoryL'écoulement du temps est irrévocable : lorsque les secondes choisissent de disparaître, rien ni personne ne peut les arrêter dans leur course. Ulysse a tenté de les contrôler. Il a cherché à les ralentir, en vain. Le Temps décide, Ulysse subit. Le...