III- Deux ans plus tard

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C'était l'introduction d'une nouvelle vie. Il ne me reste qu'un seul témoignage de ce passé. Comme un souvenir. Ce bout de jambe envolé. Comme s'il avait voulu s'enfuir pour aller vers un monde meilleur.

Parfois, je m'imagine des choses étranges. J'en ai conscience, et Camille me le répète assez souvent pour ça.

Je ne sais pas si elle a peur. Je ne crois pas. Elle n'a plus aucune raison. Et je lui dis assez souvent.

J'ai refusé de voir un psychologue. Je veux être seul maître de mon avenir. Je veux rester maître de mes pensées. Car maintenant je n'ai plus à m'en faire, la petite fille a disparue de ma vie. Peut-être que ce bout de peau l'accompagnait vers un autre monde ?

J'ai un travail. C'est dans des bureaux, près du port. Je gère les marchandises et j'essaye d'éviter les naufrages. C'est drôle, essayer d'éviter la mort des gens alors qu'on a failli mourir soi-même.

Les médecins disent que je m'en suis sortis admirablement. Ma tête n'a aucune séquelle et je me fais très bien au fauteuil roulant. Les prothèses, c'est pas mon truc.

Mais j'ai une nouvelle qui surpasse toutes les autres. C'est arrivé si vite que je n'ai pas eu le temps de réaliser. Des sentiments nouveaux. Mais qui paraissent pourtant si habituels. C'est un doux mélange d'envies et de bonheur, et cela adoucit la vie d'une façon si étrange. Je ne sais pas les décrire, et pourtant j'en suis la proie. La proie de mes sentiments, ou la proie de Solange ?

J'ai peur. Peur de tout gâcher.

Je vis toujours avec Camille. Elle qui est devenue si douce avec moi. Comme quoi, la vie réserve parfois des surprises. Elle me sourit toujours, cherche à me faire rire. Elle est toujours taquine, mais elle ne changera jamais ça. Elle ne me provoque plus comme elle le faisait avant.

Je l'aime tellement.

Il n'y a personne dans l'ascenseur ce soir. C'est rare. Je peux donc faire rentrer mon fauteuil roulant sans problème. J'appuie sur le bouton du quatrième étage. J'ai dû changer d'appartement après l'accident. C'est fou comme une simple chute a changé ma vie.

Camille est déjà rentré des cours. Elle me fait un bref salut avant de filer dans sa chambre. Ses devoirs l'occupent très souvent. L'autre jour, quand elle m'a dit qu'elle voulait être psy, je ne l'ai pas cru. Elle, psychologue ? Mais elle paraît si sûre d'elle que je ne peux que cautionner ce choix.

Je file prendre ma douche et me changer. Ça me détend et c'est si bon. Je m'apprête à sortir et je balance :

- Je ne reviens pas tard, débrouille toi pour manger !

Je n'ai aucun réponse. Comme d'habitude. Ma fille est toujours avec de la musique. Elle dit que ça l'isole du monde.

Je vais voir Solange, ma bien-aimée. Elle m'attend en bas de l'ascenseur, toute pimpante dans sa robe noire de soirée. Elle est si belle. On dit que l'amour rend aveugle. Je trouve ça triste de penser ça. La beauté devrait être universelle. Tout le monde est beau à sa façon.

- Ça va ?

- Oui. Camille est encore dans ses devoirs. Elle travaille trop je trouve.

- On ne travaille jamais trop, et puis laisse lui un peu de liberté. Tu verras, ça lui fera du bien et ça te fera du bien.

- Tu as peut-être raison...

Nous dînons dans un restaurant chic du centre-ville.

J'aime l'avoir en face de moi. Pouvoir détailler chaque petites formes de son visage. Ses doux sourcils et son nez fin. Ses cheveux qu'elle n'arrive pas à coiffer. Ses yeux praline.

La petite fille du PasséOù les histoires vivent. Découvrez maintenant