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 L'église est plongée dans l'obscurité, l'heure est tardive. L'orage et la pluie battante sont assourdissants. Les craquements sinistres des saules pleureurs, dehors, résonnent dans l'antre de pierre. Depuis son vitrail ouvragé de multiples couleurs invisibles dans la nuit, le christ pantocrator surveille la minuscule chapelle de son regard sévère et paternel, sa bible dans une main, l'autre levée vers ses disciples en un signe rédempteur. Le bleu, le rouge, le jaune et le vert chatoyant se réveillent par intermittence, lorsque les éclaires éclaboussent les vitraux de leur violente lumière bleue, projetant sur le carrelage ses milles feus divin. Les bancs et les sièges sont alignés, le sol est balayé. Quelques cierges sont allumés. Ils brilleront toute la nuit pour honorer les prières de ceux qui les ont enflammés. Père Adam est agenouillé devant l'autel. Le chapelet entre les doigts, il prie.

-Notre père qui est aux cieux, que ton non soit sanctifié...

Les yeux fermés, il concentre tout son esprit dans sa supplique au Très-haut.

-Je vous salue Marie pleine de grâce, vous êtes bénie entre toute les femmes...

Le déluge, à l'extérieur, est aussi violent que le calme est hiératique, tel un souffle suspendu de crainte, à l'intérieur de la petite église de campagne.

-Au dieu qui est, qui était et qui vient, ...

Adam récite les mots magiques, concentré. Il médite, vide son esprit, en se focalisant sur les versets. Il sent la pierre froide éprouver ses genoux à travers son jean, mais, par la force de sa prière, il fait fi de la sourde douleur.

Soudain, un martèlement brutal rompt le silence. Le jeune prêtre sursaute violemment. Les yeux écarquillés, il se tourne vers la grande porte de bois. Elle est alors prise d'une vive secousse, comme si quelqu'un essayait de l'ouvrir. Puis on frappe à nouveau. Adam ne bouge pas d'un pouce, son regard interdit rivé vers l'entrée. Il est pétrifié, il ne s'aperçoit même pas qu'il a cessé de respirer. Tendant l'oreille, il distingue un léger bruit de gravier, parmi le tambourinement assourdissant de la pluie. Pris d'une énergie soudaine, il se lève alors d'un mouvement prompt. Dans son élan, il bouscule une chaise et manque s'étaler au sol. Il se précipite vers la porte. La main tremblante, il tourne la clé dans la serrure, pousse la lourde porte, et fait un pas sur le parvis. Le souffle coupé, il se fige. L'éclair qui déchire le ciel à cet instant illumine une brève seconde l'apparition qui se tient devant lui, à quelques mètres.

Les cheveux blonds et bouclés tombent, en une cascade d'or, sur les épaules fines, dont on devine les muscles souples sous le t-shirt trempé, collé aux omoplates saillantes, comme les ailes d'un ange. La créature, qui s'éloignait déjà, sursaute et se retourne. Les yeux bleus, innocents, s'agrandissent en apercevant le curé dans l'embrasure de la porte. La bouche charnue se fend d'un sourire de délivrance. Adam amorce un mouvement de recul lorsque le jeune homme se précipite vers lui, balançant sur son épaule le sac à dos qu'il tenait à bout de bras. En arrivant à sa hauteur, l'insolite individu, éclairé par la lueur de l'astre de nuit, révèle ses traits délicats et son expression implorante. Son menton, ses joues, sa bouche, son nez, ses yeux, son front, leur forme parfaite et harmonieuse semble avoir été inventée par un talentueux sculpteur de la Grèce antique. Adam est saisi, son esprit est trouble, brumeux. L'être plein de grâce posté devant lui semble appartenir à un univers autre que celui du réel.

-Je suis vraiment désolé, je me suis perdu puis je me suis laissé surprendre par l'orage et j'ai nul part ou passer la nuit.

La voix légère comme la plume d'un oiseau de paradis, le jeune homme joint ses deux paumes dans un geste implorant.

Nos offenses pardonnéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant