Chapitre 10 : A plus tard.

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« Il n'est pas trop tard pour agir », « elle va s'en sortir ».
On aurait aimé entendre ces mots sauf que ce qu'on a entendu c'est « phase terminale » et « je suis vraiment désolé ».
Parfois il est trop tard pour agir et c'était mon cas. Le nombre de cancers chez les enfants augmente de 1 à 2% par an en Europe depuis 30 ans. Je faisais parti de ce petit pourcent. On est 2500 enfants à être diagnostiqués d'un cancer chaque année et 500 enfants en meurent. Sachant qu'un enfant sur 440 développe le cancer avant 15 ans. C'est à dire que je suis cet enfant sur 440 autres.
Mes parents en veulent au monde entier pour ce qui m'arrive mais moi je n'en veux à personne. Georges a essayé de me faire comprendre a plusieurs reprises ce qui m'arrivait. C'est également pour cela que Mercy avait mon apparence et qu'elle pleurait à l'hôpital. Je n'étais pas folle, j'essayais simplement de comprendre ce qui m'arrivait. Georges c'était mon cancer.
C'est ce que j'ai expliqué à papa et maman. Certains membres de ma famille pensent que Georges est un fantôme et selon les medecins ce sont simplement des visions dûes à l'emplacement de la tumeur. J'oublie très vite, alors j'ai pris soin de noter tout ce que je fais lors de ma journée. J'écrivais beaucoup sur Georges :

27 septembre
Georges ne décolère pas, il n'accepte pas la situation et cherche à me faire peur à la moindre occasion.

28 septembre
Je me suis reveillée en pleine nuit parce que Georges faisait du bruit. J'en ai eu très mal à la tête.

29 septembre
Georges est triste aujourd'hui, Mercy est là elle aussi. On n'arrive pas à lui remonter le moral et je suis déprimée moi aussi.

30 septembre
Georges dit que si je meurs il mourra lui aussi. Ça me rend triste rien que d'y penser mais je ne peux pas lui dire que c'est lui qui me tue.

1er octobre
Cette musique infernale ne quitte pas mon esprit. Je l'entends dans tous les recoins de la pièce, même cachée dans mon placard. J'aimerai pouvoir éteindre ce gramophone !

Et durant un mois entier mon journal ne parlait que de lui jusqu'au 29 octobre où j'ai écris :

« Cher journal, cher lecteur,
Je suis Anya, j'ai 10 ans et je vais bientôt mourir. Personne n'accepte cette idée pour dire vrai.
Au debut je ne comprenais pas vraiment et puis j'y ai réfléchi.
C'est vrai, je ne fêterai sûrement pas mes 18 ans, je n'aurai pas de grosse fête, je n'aurai pas de petit ami et encore moins d'enfant. Je ne boirai jamais d'alcool et je ne devrai jamais refuser une cigarette. Je n'irai pas au lycée, je ne serai pas pom-pom girl, je ne pleurerai pas pour un garçon et même si je suis une bonne élève je n'aurai pas le bac. C'est vrai, toutes ces choses que vous vivrez je ne le ferai pas mais ça ne me rend pas triste. Ce qui me rend triste c'est de perdre tout ce que j'ai déjà : sentir l'eau de la douche couler sur mon visage, m'assoir dans le sable, marcher pieds nus dans l'herbe fraîche, sentir les rayons du soleil frapper ma peau, me brûler les doigts avec des boules de neige ou encore avoir les cheveux qui volent au vent. Ce sont les détails de tous les jours que je ne veux pas perdre. Je voudrais encore entendre les oiseaux chanter, voir ma mère sourire, mon père partir au travail, aller à l'école et sentir l'odeur des feutres à travers la classe. »

Je me suis faite à cette idée, mais après tout je n'avais pas le choix. Pas vrai ?
Toi qui es entré dans ma vie, toi qui t'es montré si gentil et même attendri pour ensuite tout bousiller, pas vrai Georges ? Et puis, ça ne doit pas être si difficile que ça de mourir puisque finalement tout le monde y arrive.
Chez moi on vit comme si je n'allais jamais mourir. Ça fait un mois que je ne vais plus à l'école parce que les traitements sont trop lourds pour moi. Tous les jours mamie vient à la maison pour me garder, me faire à manger, surveiller si j'ai bien pris mes médicaments et pour être présente en cas de malaise.
Maman part au travail et papa aussi, on se retrouve le soir. L'ambiance est lourde parce qu'ils cherchent toujours à faire comme si de rien était mais ce n'est pas le plus horrible.
Comment peut-on parler d'avenir lorsque son enfant est en train de mourir sous vos yeux ?
Expliquez moi parce que je ne comprends pas. On essaie de me ménager, on me fait rêver à des années lointaines, mais je ne serais plus là, vous comprenez ?
Alors oui je sais, ils ont besoin de penser à autre chose que ma santé mais je n'arrive pas à faire semblant d'aller bien.
La vérité fait plus mal que le mensonge parfois mais il faut l'accepter.

J'aurais pu avoir une vie normale, aller à l'école comme tous les enfants de mon âge mais je suis coincée à la maison pour prendre des médicaments. Mais la triste réalité des choses c'est que je me prépare à mourir. Je suis tellement fatiguée, mais je garderai
de magnifiques souvenirs, les plus minimes soient-ils, comme le choix du petit déjeuner, les matins où tu me déposais à l'école papa, la douce odeur de ton parfum maman et toi Mr moustache toi qui m'a accompagné durant ma vie j'aurais tellement aimé pourvoir t'emmener dans mes bagages, que tu fasses partie du voyage.
Maman, papa, je vous aimerez toujours et je ne serais jamais loin.

***

- Voilà docteur, c'est ce que j'ai trouvé dans son journal. Elle avait écris cela, mais elle ne nous en avait jamais parlé. Mon mari et moi n'arrivons pas à avancer depuis que l'on a lu ces pages.
Je ne pensais pas qu'elle souffrait autant. On essayait de la ménager pour qu'elle aille bien, pas pour le contraire ! On ne peut pas vivre correctement lorsque l'on apprend que son enfant est malade.

- Je sais oui, mais vous avez bien agit. Vous ne devez pas vous remettre en question pour ce journal. N'importe quel parent aurait agit de cette façon. Vous avez réussi à ce qu'elle se sente en sécurité malgré la maladie et surtout à ce qu'elle garde espoir. Changer les habitudes l'aurait perturbée encore plus. La maladie affaiblissait son métabolisme. Il faut vraiment que vous compreniez que les médicaments qu'elle prenait n'avaient pas que des effets positifs sur son organisme. Elle était mentalement très forte et vous pouvez en être fière.

- Mais docteur Collins, être forte ne suffit pas, il faut beaucoup plus que ça. Il faut agir contre cette maladie, trouver un remède ou tout au moins la diagnostiquer à temps. Si le temps avait joué en notre faveur... je ne sais pas comment je vais surmonter tout ça.
J'ai toujours été là pour pallier à ses besoins, lui mettre un pansement et désinfecter ses petits bobos lorsqu'elle tombait de vélo, je prenais soins de démêler ses longs cheveux avec toute la douceur du monde pour qu'elle ne souffre pas, je passais des nuits entières à calmer sa température lorsqu'elle était malade ou encore mes soirées à lui raconter des histoires pour éloigner les cauchemars mais aujourd'hui la seule chose que j'ai en tête avant de m'endormir, en me levant le matin, en allant au travail et même en regardant mon mari dans les yeux, c'est que ma fille est morte et que cette fois je n'ai rien pu faire.

EuphemismeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant