Premier Rencard~Leokumi

Un archer en rogne.

Les pas cinglants et bruyants du prince archer se faisaient nettement entendre dans le grand hall du château Shirasagi. Ses poings étaient serrés, sa mâchoire crispée, ses sourcils froncés et son regard fixé vers les escaliers qui menaient à ses appartements. Il fut interrompu par son aînée aux cheveux rouges, qui pressait le pas en sa direction, bien décidée à connaître la raison de sa colère.

"Eh Takumi !, le héla t-elle.

-Ugh..., ronchonna le concerné. T'es contente de ton petit plan ? Pour m'éloigner de vous tous ?, demanda t-il froidement.

-De quoi tu parles ?, répondit Hinoka en haussant un peu la voix.

-De votre petit plan à tous ! Vous m'avez refilé à l'autre abruti de Leo !, pesta l'archer en continuant son chemin, faisant balancer ses cheveux dans son dos avant de se figer à la réponse de sa sœur.

-Eh ! Redescend d'un ton ! On a jamais voulu ça, et puis je croyais que c'était ton ami-, entama la princesse belliqueuse avant de se faire interrompre par la poigne de Takumi sur son col.

-Que ce soit clair. Je ne suis PAS ami avec cette ordure de Nohrien, je fais seulement ce qu'il faut pour que vous me lâchiez la grappe avec cette histoire de "jumeaux"., siffla le jeune homme aux cheveux blanchâtres, furieux. Et vu que je vous dérange tant, je vais bien gentiment faire mes affaires et me barrer.", conclut-il avant de pousser la chevalière ébahie par cet excès de colère et de s'en aller d'un pas vif et sec.

Hinoka, stupéfaite, fulminait. L'archer, lui, continuait sa course, claquant des talons sur les marches de l'escalier en ébène, puis disparaissant derrière une épaisse porte qui claqua en un bruit tonitruant.

Soupirant, Takumi se laissait tomber sur son lit, et fixait le plafond auquel était suspendu des carillons dont le léger bruit l'apaisait quand il en avait besoin. Comme maintenant...

Après quelques instants, il se redressa en silence, laissant flotter son regard sur le sol en bois sombre, sur son imposante bibliothèque faite de bouleau, et emplie de livres historiques, sur sa coiffeuse très simple et un peu en bazar ainsi que sur son bureau sur lequel était ouvert un carnet à la reliure rouge et bleue.

"Merde, j'ai laissé mon journal ouvert...", souffla t-il mentalement. "J'espère que personne y a touché...", ajouta t-il du bout des lèvres.

Puis il se remémora son but premier, qui était de faire ses affaires. Il prit le grand sac toujours à portée de main et y fourra quelques livres qu'il n'avait pas encore eu le temps de lire, le journal à la reliure soignée, quelques objets lui permettant d'entretenir son arc, son coussin, les premiers vêtements qui lui passaient sous la main, avant de s'arrêter quelques instants pour tourner sur lui-même et aller fouiller dans sa commode, jusqu'à trouver une boîte en ivoire finement sculpté orné d'améthystes. Il l'ouvrit et son visage s'orna d'un sourire en découvrant que le contenu était toujours en place. Puis il la referma et la lança dans le grand sac de toile. Au final, il avait prévu un conteneur beaucoup trop grand... Peu lui importait au final. Takumi sursauta alors qu'une main forte frappait à sa porte. C'était l'aîné.

"Takumi, je t'ordonne d'ouvrir cette porte., fit le futur roi d'une voix qui se voulait neutre, mais qui trahissait son énervement à l'égard de son cadet.

-D'accord."

L'archer se saisit de la poignée, ouvra un grand coup la porte avant de la refermer aussi sec. Ryoma bénissait furieusement ses séances de méditation pour lui avoir appris à rester calme dans ce genre de situation. Sérieusement, qu'est-ce-qu'il avait demandé aux dieux pour avoir un frère aussi impétueux ?

"... Et de ne pas me la refermer au nez, merci., souffla t-il en fermant les yeux dans une mimique exaspérée.

-Je n'ai pas envie de parler. Pars, que je puisse sortir., siffla Takumi en nouant son sac.

-Partir ? Et pour aller où au juste ?, gronda le porteur de Rajinto.

-Quelque part où aucun abruti de votre genre ne m'importunera., fit sèchement le jeune homme.

-Père serait tellement déçu de toi...", soupira l'aîné en abandonnant, sûr que cette remarque allait faire réfléchir le plus jeune.

À ce moment précis, le regard de Takumi se fixa, d'abord sur le mur, puis, après un rapide mouvement de tête, vers la porte. Ce qu'il venait d'entendre le blessait, et fit couler sur sa joue une larme. Ryoma le savait pourtant, que leur défunt père était un sujet extrêmement sensible pour le plus jeune. Soudain faible et tremblant, il peinait à articuler quelques mots.

"Il..., entama t-il en serrant les poings. Il serait là..., continua t-il laborieusement. Il serait là, je n'aurai pas à fuir ma propre maison pour trouver quelqu'un qui me comprenne.", finit-il d'un ton soudain plus dur.

Est-ce qu'il venait entendre un sanglot de la part de son petit frère ? Une vague de culpabilité le transperça alors qu'il percevait des pleurs, derrière cette porte de chambre qui claquait si souvent. Le petit Takumi qu'il pensait avoir perdu n'avait jamais disparu alors...

Il frappa trois fois pour s'annoncer, puis entra. Son regard se baissa vers le jeune homme effondré au sol, un bras sur les yeux comme pour cacher ses larmes. Le cadet avait honte, réellement... Il laissait couler sa rancœur, sa peine, et tout ce qu'il avait accumulé naguère, depuis sa tendre enfance, depuis le décès du roi Sumeragi... A la mort de celui-ci, il s'était juré de ne plus ouvrir son cœur à qui que ce soit. Sauf que ce Nohrien était arrivé, sous sa cape bleu nuit, perché sur son cheval, son grimoire à la main, et l'avait charmé, poussé dans ses retranchements, et surtout, avait réussi à percer son épaisse carapace. Le prince archer se sentait si mal, et pourtant si bien...

Ryoma le regardait, avant de s'accroupir et de poser la main sur l'épaule du cadet, pour le rassurer... Ce qui ne lui valut qu'un refus catégorique. 

"Lâche moi Ryoma... Va juste reprendre ta vie, va-t-en..., articula l'archer en serrant les dents, sans même regarder son interlocuteur.

-Bien... Comme tu voudras., soupira le samouraï en se relevant. Cependant, fais attention sur la route, tu n'es pas équipé pour le combat rapproché... Tu devrais faire venir Hinata ou Oboro, pour veiller sur toi. C'est un conseil que Père aurait pu te donner...", finit-il en tournant les talons avant de disparaître dans le couloir, n'abandonnant derrière lui que le bruit de ses pas et le cliquetis de son armure raffinée. 

Il en fallut, du temps à Takumi avant de se relever. De la force aussi, pour prendre son sac, sortir par les écuries et choisir son cheval. Il chevauchait en amazone, mais il devait tout de même équiper l'animal pour qu'il puisse porter le sac de toile... Ce qu'il fit, donnant même de discrètes caresses sur le flanc de l'étalon qui se demandait bien ce qu'il se passait. 

A la fin de ce massage, le jeune homme recula de quelques pas, afin d'admirer la bête qui lui faisait face ; le cheval était court sur pattes, assez pour que Takumi, lui-même plutôt petit puisse le monter, mais malgré cela, il était beau. Sa crinière blanche était soigneusement nattée par le prince, sa robe crème irisait au soleil et l'étoile blanche sur son front mettait en valeur ses yeux d'un noir profond. 

Le prince aux cheveux blancs se hissa sur sa monture, presque détendu, et fit trotter son cheval, en direction de la plaine de verdure qui s'étendait à l'horizon, derrière les quelques habitations qui se dressaient de chaque côté de la rue pavée qu'il empruntait. Ce quartier avait été aménagé pour les compagnons de guerre de Kamui durant leurs croisades contre leur ennemi commun... Dont l'archer ne voulait pas se souvenir. Il passa devant la bicoque de Hana, devant l'échoppe de bonne aventure tenue par Orochi, et ainsi jusqu'à trouver la petite maison où habitait son vassal et seul réel ami, Hinata.