Chapitre I - Partie 2

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     Le capitaine Tradhtar était furieux. Il faisait les cent pas devant l'entrée du Boyau depuis maintenant plus de quatre heures, ce qui ne manquait pas d'impressionner autant que d'inquiéter la petite troupe de soldats qui l'avait accompagné.

 En temps normal, c'était un homme de nature calme et pondérée. Il se mouvait toujours lentement et posait sur le monde un regard mélancolique voir doux. Pourtant, lorsque quatre heures plus tôt, il s'était aperçu que ce petit impudent de nobliau, bouffi de sa propre bêtise, était parti suivi de son soldat à la recherche de Loistava avec sonautorisation d'entrer dans le Boyau, il avait failli perdre la raison. Il avait aussi failli tuer le garde d'entrée quand celui-ci avait refusé de lui ouvrir la porte faute d'autorisation royale.

 Il allait le tuer. Ou plutôt les tuer lui et Declan. Pire, il allait faire en sorte de les enfermer dans les pires geôles du royaume. Non, dans le Boyau lui-même. Cet endroit légendaire où les pires monstres du pays avaient été emprisonnés depuis toujours. Où Loistava avait été emprisonné...

 L'entrée du Boyau n'était pas impressionnante en soi : une porte encastrée sur le versant d'une petite montagne. La montagne elle-même était entourée d'une forêt sans nom, car considérée comme la véritable entrée de la prison: dense, dangereuse et sans aucune route praticable. Le seul moyen de ne pas se perdre dans l'immense et mortelle étendue sauvage était de prendre l'un des gardes de la prison pour guide. Sans autorisation royale, pas de guide, et sans guide, les courageux pouvaient toujours tenter leur chance, mais jusqu'à ce jour aucun n'était jamais ressorti vivant de la forêt. Sans doute grâce aux quelques centaines de soldats qui patrouillaient dans ces bois, ayant pour ordre de tuer tous ceux qui n'étaient pas escortés.

 Après un long voyage éprouvant, la troupe s'était arrêtée dans une petite clairière. La vue du ciel avait émerveillé le capitaine et ses hommes qui en avaient été privés dès leur entrée dans cette prison maudite.

 Au bout de cette clairière, se dressait la petite montagne dont l'un des versants donnait sur la forêt tandis que sur l'autre, on pouvait voir la porte d'entrée du Boyau. Cette dernière était assez singulière, elle ne paraissait pas avoir été fabriquée par l'homme mais être l'extension de la montagne elle-même. D'ailleurs, le seul indice de la présence de celle-ci était le garde posté juste devant.

 Pour le capitaine Tradhta, cette prison toute entière représentait un immense paradoxe : n'importe qui pouvait entrer dans la forêt mais personne ne pouvait y survivre. L'entrée du Boyau n'était survéillée que par un seul garde. Pourtant, l'impression d'être observé depuis la lisère de la forêt faisait comprendre une chose : la clairière n'était pas un oasis de lumière dans un monde de noirceur, mais bel et bien un piège. Et ce, tant pour les visiteurs comme lui, que pour les prisonniers qui tenteraient de s'échapper. Cette prison entière était un piège mortel, et encore il n'en avait vu que la surface. Il n'osait imaginer ce qui se déroulait sous ses pieds.

  Un bruit atroce le fit sortir de ses méditations. Une sorte de grincement aigu et insoutenable. Il ne put s'empêcher de porter ses mains à ses oreilles dans une piètre tentative de sauvegarde de ses tympans. La pression auditive qui menaçait de le rendre fou était accompagnée d'un sentiment d'impatience mêlé de peur et d'anticipation. Ce bruit signifiait une chose : l'ouverture de la prison.

— Capitaine, que doit-on faire du soldat Declan et de l'envoyé du roi ? demanda doucement son lieutenant.

 Le capitaine ne lui répondit pas, trop occupé à détailler celui qu'il avait un jour adulé. Loistava n'était aujourd'hui rien de plus qu'une épave. Son corps, porté par le soldat Declan et un autre homme, semblait creux tant il était maigre. Son visage était à peine visible, mangé par une barbe qui lui retombait sur le torse et recouvert d'une longue crinière sale et pleine de nœuds. Le peu que l'on pouvait voir de son visage semblait aussi peu engageant que le reste de sa mise : les lèvres fendues, le nez brisé et une longue coupure partant de sa tempe gauche et se perdant dans sa barbe. Il était enveloppé dans des lambeaux de tissus retenus à quelques endroits stratégiques, qui laissaient voir un corps sans véritable couleur tant il était sale et contusionné.

La Chute du JoyauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant