Chapitre I - Partie 1

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Les deux soldats avançaient dans ce qui semblait être le boyau le plus sinistre de la Terre : un long couloir taillé dans de la pierre noircie. L'humidité et la saleté ambiantes l'avaient recouvert d'une pellicule graisseuse, de mousse à l'aspect douteux et de petits champignons blancs. Seule la lanterne que tenait le premier des deux hommes apportait une touche de lumière dans cet océan d'ombres peuplé de vermines, hanté par de petits gémissements et où le désespoir lui-même devenait tangible.

— Dites, on n'aurait pas dû attendre le capitaine ? s'enquit le second soldat dans un murmure destiné à ne pas rompre la symphonie morbide du Boyau. C'est pas que j'ai peur mais paraît que notre gars c'est pas n'importe qui quand même !

 L'homme à la lanterne ne prit pas la peine de lui répondre. Tout, dans sa démarche assurée, la qualité de ses vêtements et le dédain clairement visible sur les traits droits de son visage, le désignait non seulement comme le chef du duo, mais aussi comme faisant partie d'une famille noble. Après quelques minutes, il consentit à répondre avec l'attitude d'un précepteur contrit par la bêtise crasse de l'un de ses élèves :

— Et pourquoi attendre ce vieil homme ? Il n'aurait fait que nous ralentir avec son sacro-saint protocole et ses ordres à n'en plus finir. Non, vraiment, à quoi bon Declan ? La tâche est bien assez pénible comme cela...

 Il tirait sur sa fine moustache, les yeux plissés et la bouche tordue en un petit rictus que l'on aurait pu prendre pour un sourire, si ce n'était l'impression de dégoût que dégageait l'ensemble de sa physionomie.

— De plus, tu parles d'un homme, or ce n'est pas un homme que nous allons chercher mais un rat, continua-t-il d'une voix forte. Oui, un rat ! Il était peut-être un homme quand on l'a enterré dans ce trou et il l'est peut-être resté la première année, voire la deuxième. Mais après quinze ans, c'est en vermine que cet « homme » s'est changé. Craintif, malingre et puant !

 Sur ces mots, il se mit à presser le pas, comme si le fait de rester plus longtemps dans cet endroit l'amenait petit à petit à subir le même sort. Le dénommé Declan le suivait de près, de peur de se faire engloutir par les ténèbres environnantes, et de devenir lui-même une de ces ombres gémissantes que la lanterne éclairait de temps à autre et que les ténèbres ravalaient aussitôt. Créatures enfermées derrière des barreaux, qui se recroquevillaient dès que la lumière les touchaient, comme frappées par la foudre. Un jour, ils avaient eu le nom d'Homme mais le Boyau les en avait dépossédés.

 Ils continuèrent leur marche « silencieuse » de longues minutes, rythmée par le bruit de leurs bottes, la respiration hachée du second soldat et bien sûr la mélopée sinistre qui les accompagnait depuis leur entrée dans le Boyau.

 Tout à coup, Declan lâcha un petit cri qui prit par surprise son compagnon. Celui-ci faillit lâcher la lanterne.

— Une lumière ! Regardez ! Une lumière, on y est presque monsieur, s'exclama-t-il avec la même joie qu'un enfant devant le plus beau des jouets.

— Bien sûr qu'il y a une lumière, rétorqua froidement le jeune noble, pas tout à fait remis de sa surprise. Ce sont les gardes du trou, ils vont nous aider à récupérer le prisonnier. Reprenez-vous, avant de faire honte à votre capitaine ainsi qu'à moi-même devant ces hommes qui ne sont finalement rien de plus que des fermiers. Des fermiers dont le bétail n'est autre que ces bêtes qui peuplent ce maudit trou...

— À rats, compléta presque inconsciemment Declan. Enfin, oui monsieur ! J'vous ferai pas honte monsieur, se reprit-il après le regard lourd de menace dont il avait été gratifié.

 Ils reprirent leur marche mais, avec cette fois une lumière qui brillait comme le plus flamboyant des phares. Après quelques minutes, ils purent enfin entrer en contact avec ce qui semblait être les premières véritables âmes humaines du Boyau. Celui-ci semblait s'élargir sur quelques mètres, créant ainsi un espace en forme de cercle qui se refermait sur une lourde porte en fer. Au milieu, se dressait une petite table en bois sur laquelle était posée une lanterne qui éclairait... une partie de cartes entre deux gardes, qui paraissaient plus captivés par le jeu que par leur arrivée. Ils ne manifestèrent d'ailleurs aucune réaction à leur approche et les ignorèrent royalement.

La Chute du JoyauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant