Halloween selon Émilie [FINIE]

3 : Le sortilège du Damné, ou comment déclencher la fin du monde

Émilie grimpe le long du mur du cimetière en se maudissant par tous les dieux qu'elle connaît. C'est-à-dire beaucoup.

« Mais qu'est-ce qui m'a pris ? Au lieu de me casser, voilà que je vais espionner celui que cet abruti de sorcier a attiré avec sa magie ! »

Le pire, c'est qu'elle sait qui elle va trouver et ça lui file la chair de poule. Et que ce sera uniquement sa faute s'il est dans les parages. Edward ne pouvait pas savoir, elle est donc seule responsable.

Ses parents allaient la tuer. Enfin, s'ils ne sont pas morts avant.

Elle arrive enfin au sommet du grillage surmontant le mur de pierre, et jette un coup d'œil prudent par-dessus. Un grognement frustré retentit en dessous d'elle et elle se penche pour en apercevoir la cause.

— Edward ?!

Le sorcier lui fait un sourire désolé.

— Je veux pas rester seul. 'fin, tu comprends que je suis pas du tout rassuré... Tu m'annonces des trucs pareils et tu te casses pour observer un truc dangereux.

— D'accord mais tu la fermes ! le coupe Émilie. Si on se fait voir, on est morts !

Elle reporte son regard vers le cimetière et se fige brusquement. La silhouette s'est déplacée parmi les tombes et les croix, dans son grand manteau noir. Deux mains décharnées sortent des manches longues et leur pâleur permet de mieux voir la position de l'être. Il bouge la tête de gauche à droite, comme s'il cherchait à repérer quelque chose...

« Ou quelqu'un. » pense Émilie en coulant un regard vers Edward, accroché comme il peut aux grilles, deux mètres plus bas.

La jeune fille lève les yeux au ciel devant l'air peu dégourdi du garçon. Heureusement, elle, elle n'a aucun soucis avec l'agilité, la force et l'équilibre.

— Oui... Oui... Je sens...

Émilie se dépêche de reporter son attention sur l'être, dont la voix rocailleuse d'outre-tombe a retenti dans le cimetière. Elle frissonne. Vraiment, elle commence à penser qu'elle ne s'est pas trompée.

— Moi, le grand sorcier centenaire, le Damné, je reviens pour me venger ! hurle-t-il. Qui est le serviteur qui m'a appelé ? Qu'il se montre !

En bas, Edward se met à trembler. L'être parle de lui, il en est sûr. Qu'a-t-il fait ? Qu'a-t-il fait, sans même le savoir ?

Émilie saute alors depuis la grille et se réceptionne agilement au sol sans un bruit. Elle fait signe à Edward mais, encore perturbé, ce dernier n'arrive pas à retomber sur ses pieds et s'écrase lamentablement au sol.

Le bruit fait se crisper Émilie, tandis que dans le cimetière, l'être hurle :

— J'arrive, serviteur invocateur !

« Et merde, quel boulet ce type ! » pense fugitivement Émilie en saisissant la main d'Edward pour le tirer dans une course folle.

Tout en s'écartant le plus possible du cimetière, Émilie réfléchit. Comme elle est la cause de ce désastre - à savoir, permettre l'invocation du Damné lors d'Halloween, soit le seul put... de jour où c'est possible - elle est obligée d'y mettre fin elle-même.

En tournant à l'angle d'une ruelle sombre, elle tombe sur un groupe d'enfants déguisés qui s'apprêtent à sonner à une porte. Avec sadisme, elle se dit que vu le nombre de pseudo-sorciers ce soir, le Damné ne tombera peut-être pas sur eux tout de suite, ce qui lui permettrait d'élaborer un plan.

Et tant pis pour les enfants qui auront la trouille de leur vie. Fallait pas se déguiser en sorcier cette année.

Enfin, elle cesse de courir et s'enfonce dans une allée remplie de containers. Entre deux de ces immenses boîtes, elle lâche Edward, qui commence à s'écrier :

— Il me cherche ! Il... Il me cherche ! Et c'est qui ce type ? Un mort-vivant ? Et toi, t'es qui au juste ?

Émilie lui plaque une main sur la bouche et siffle :

— La ferme. Si tu cries, on est cuits. Compris ?

Edward hoche la tête fiévreusement et reprend plus doucement :

— Donc, c'est qui et t'es qui ?

Émilie souffle.

« Si je le bouffe, ça règle mes problèmes ? Non ? »

Mais elle répond tout de même :

— C'est le Damné, le plus puissant esprit qui puisse être invoqué par un sorcier, qui devient aussitôt son serviteur lorsqu'il l'ensorcelle. En gros, il va chercher à te retrouver pour accomplir son grand plan machiavélique qu'il essaie de mettre en place inlassablement chaque fois qu'un imbécile de sorcier l'invoque : il va réveiller les morts pour conquérir le monde - très original, je sais. Et devine quoi, comme c'est moi qui ai laissé venir ce monstre, c'est moi qui dois l'en empêcher ! C'est la loi chez nous.

— Et qui tu es, dans ce monde de fous où les morts de relèvent et où les gens courent plus vite que le son ?

Émilie rétorque :

— Je ne cours pas plus vite que le son.

Edward lève les yeux au ciel.

— Bref. T'es qui, ou plutôt quoi ?

— Je suis une louve.

— C'est-à-dire...?

— Mais t'en as pas marre de poser des questions, toi ? À la base je devais juste te foutre la peur de ta vie et me casser, et je me retrouve à devoir affronter le Damné ! siffle-t-elle avec rage.

— Et pourquoi tu devais me foutre la peur de ma vie, hein ? Pourquoi tu m'as pas laissé tranquille ?! s'écrie le sorcier.

— Mêle-toi de c'qui t'regarde ! Et baisse le son ! claque Émilie.

— Bon, je peux au moins connaître ton nom ? demande Edward après un moment de silence pesant.

— Émilie.

— Ok, Émilie. Et on fait quoi, là ?

— Je réfléchis à comment me sortir de ce merdier. Ferme-la, chuchote la jeune fille en dirigeant son regard vers la rue.

— Te sortir ? Excuse-moi mais je pense être mal parti aussi ! s'offusque le nouveau sorcier inconscient.

— Je t'ai dit de la fermer !

Edward se détourne et croise les bras.

« Enfin !... » soupire Émilie mentalement.  « Quel gamin ! »

Elle replonge alors dans ses pensées tumultueuses. Il faut qu'elle arrive à arrêter le Damné avant la fin du rituel impliquant monsieur inconscient ici présent. Donc, en toute logique, si le Damné ne met pas la main sur Edward, elle devrait pouvoir l'arrêter. Mais...

« Comment on arrête un esprit invoqué ? »

Ou plutôt, en premier lieu, qui sait comment arrêter un esprit invoqué ?

— Moi, je sais.

Edward se met à hurler.