1 : Recherche nocturne, ou comment se faire clasher par un gamin d'un siècle

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« Soyons clairs.
Je ne suis pas un chien. »

Voilà le joli mot laissé par Émilie sur la table familiale, avant de prendre la poudre d'escampette.

La jeune fille descend à présent les escaliers du petit immeuble à appartements où elle habite avec sa mère. Elle court très vite mais tant que personne ne la voit, elle ne compte pas ralentir. Après tout il faudrait déjà parvenir à la voir passer.

Après une dernière glissade sur la rampe, elle atterrit au rez-de-chaussée avec souplesse et s'élance dans la rue sombre. Le soleil déclinant baigne la ville dans une clarté chaude, ses derniers rayons caressent la peau pâle de la jeune fille tandis qu'elle marche sur le trottoir, les mains dans les poches. Ses regards scrutent les passants, tandis qu'elle réfléchit.

« Aujourd'hui, cette nuit, je prouve à tous que je suis leur égale. »

Ses pas se font décidés et elle se dirige vers le parc de la ville. Les grands arbres aux feuilles rougies par l'automne entourent quelques étangs, quelques bancs épars permettent aux promeneurs de s'assoir un instant.

Émilie prend place sur l'un d'eux et attend. Elle regarde l'astre diurne décliner vers l'horizon, doucement, fébrile. Ses boucles brunes ondulent sous le vent, masquant de temps à autre ses iris azur. Sa jupe noire plissée cache à moitié des bas onyx, tandis qu'elle déplisse distraitement une chemise blanche surmontée d'une veste noire. Une écharpe vient compléter sa tenue automnale.

— Eh !

Le cri retentit dans le parc, dérangeant Émilie avant le coucher du soleil. Elle tourne la tête vers son origine et soupire.

Un gamin déguisé en vampire court dans le parc à la poursuite d'une petite fille blonde aux yeux brillants. Littéralement brillants. Cette dernière tient à la main une bague rouge et Émilie les regarde passer d'un air désabusé. Le gamin crie à la fille de lui rendre son objet mais elle est muette et continue de courir. Émilie connaît la petite mais n'intervient pas, elle n'a pas spécialement envie de se faire rabattre le clapet par ses parents spécialement dangereux.

Le gamin cesse alors de courir quelques mètres après le banc. Il semble étrangement ne pas respirer, malgré l'effort qu'il a dû fournir. Émilie le regarde avec attention et établit une conclusion rapide.

« En fait, ce gamin n'est pas déguisé. »

Le-dit gamin se retourne dans l'intention de rentrer chez lui - ou d'aller s'acheter une nouvelle bague de pouvoir, au choix - mais s'arrête en face de la jeune fille, calmement assise sur son banc.

— Pourquoi t'as rien fait, Émilie ?

Elle fronce les sourcils.

— D'où tu connais mon nom, gamin ?

Ce dernier lève les yeux au ciel.

— Tout le monde a au moins une fois entendu parler de toi. La fille qui est différente de ses parents.

Émilie ne répond pas et fait mine de l'ignorer, mais le gamin n'en reste pas là.

— Donc, pourquoi n'as-tu rien fait ? Marilyn te fait peur ? raille-t-il.

— J'ai mieux à faire qu'aider les vampires à récupérer leurs bagues de pouvoir, rétorque-t-elle.

— Comme prouver à tes parents que tu n'es pas nullissime ?

Émilie serre les poings et se retient de paraître étonnée. Elle sait que les vampires ont une sensibilité psychique hors du commun mais à cet âge, cela relève tout de même d'un don précoce. Le gamin l'intrigue soudain beaucoup plus.

— Entre autres, grince-t-elle finalement. Maintenant, tu peux me laisser la paix ?

Le gamin sourit d'un air étrange et souffle, avant de s'éloigner :

— Ne te fie pas aux apparences. J'ai plus de cent ans.

Émilie ne réagit pas et le laisse s'éloigner. Elle se reconcentre sur son objectif de la nuit, tentant d'oublier l'intarcade avec le vampire. En fait, à présent, elle se souvient de son nom : Alexandr le Rusé.

Le soleil finit par se coucher et les citrouilles aux balcons des immeubles, à briller. Les bougies font vraiment  « trop » pour Émilie mais elle a fini par s'habituer à leur présence au soir d'Halloween.

— Stupide fête. Excellente occasion.

En effet, les publicités autour de la fête des monstres, où des enfants quémandent des bonbons, énervent Émilie plus qu'un son grinçant. Et ça, ça l'énerve particulièrement. C'est dire !

Et excellente occasion, parce que à ce moment, les enfants sortent des maisons la nuit, se baladent déguisés, et les vrais monstres peuvent sortir à visage découvert pour commettre leurs méfaits en mettant ça sur le dos d'un fou à Halloween.

Émilie recentre ses pensées. Elle est là pour une bonne raison.

Se levant du banc, elle lève la tête vers le ciel et admire les étoiles et la lune. La nuit, c'est vraiment beau. Elle soupire. En route.

Elle a une mission. Mais d'abord, trouver une proie.

***

« Celui-là ? Non, trop moche. Et celui-ci ? Trop vieux, il va pas avoir peur avant que je le bouffe. »

Émilie est postée sur un trottoir sombre, le soir d'Halloween, appuyée nonchalamment à un mur de briques. Les enfants et les adolescents défilent depuis bientôt une demi-heure pour entrer dans la grande maison décorée qu'elle a choisi comme appât.

Des citrouilles creusées, des fausses toiles d'araignées, les sorcières pendues aux fenêtres, soit toute la panoplie clichée des humains à Halloween.

— Des bonbons ou un sort ! hurlent deux fillettes en s'arrêtant devant elle.

Émilie grogne un peu et rétorque :

— Est-ce que j'ai une tronche à avoir des bonbecs infects sur moi ?

Les deux filles se regardent et s'éloignent en silence, certainement déçues, mais Émilie s'en moque. C'est vraiment le cadet de ses soucis.

Elle scrute encore la pénombre à la recherche de la proie idéale. Vraiment, n'y aurait-il pas un humain plus intéressant que les autres ? Un peu moins cliché ?

Son visage s'éclaire alors. Une silhouette vient d'apparaître. Ses narines se dilatent. Sa pupille s'écarquille. Ses mains se crispent.

« Là. Oui. Lui. »

Un jeune garçon s'avance dans la rue avec ses amis. Déguisé en sorcier au vu du chapeau pointu, il tient un sac de friandises à la main. Il sourit. Ses amis, deux vampires - des faux, bien entendu - rient à gorge déployée.

— T'as des bonbons ? Sinon on te vide de ton sang ! hurle l'un des ados en continuant de rire.

Mais Émilie ne le regarde même pas. Ses yeux sont fixés sur le garçon en sorcier. Le chapeau laisse échapper des mèches rousses folles, et deux iris verts la regardent d'un air intrigué.

— J'ai pas de bonbecs.

Les deux acolytes soupirent d'un air déçu. Ils s'apprêtent à aller vers la grande maison, mais en voyant que le troisième ne suit pas, ils se retournent.

— Edward, tu viens ?

Il garde un instant les yeux sur Émilie, à moitié dans l'ombre, puis rejoint ses amis, qui prennent la direction du manoir.

« Toi, tu vas flipper cette nuit... »

Un sourire machiavélique prend place sur le visage de la jeune fille.

Halloween selon Émilie [FINIE] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant