Chapitre II

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Les festivités célébrants la renaissance d’Arhka durèrent cinq jours durant lesquels la fête battit son plein. Ash ne revit pas Kiel les jours qui suivirent, et il se demanda si elle l’évitait délibérément après ce qui c’était passé entre eux l’autre soir. C’était le dernier jour de célébration, et Ash comme depuis quatre jours fouillait la foule dans l’espoir d’apercevoir Kiel. Son cœur s’affola quand il l’aperçut enfin, l’uniforme des Darkbolt épousant à la perfection chaque forme de son corps svelte. Ses cheveux dorés étaient remontés en une queue de cheval qui faisait ressortir ses pommettes saillantes, et son nez droit, des traits qui étaient communs à tous les phénix. Comme si elle se sentait observée, elle tourna son regard d’ambre vers lui, et il vit une lueur s’y allumer quand elle le vit. Elle détourna brusquement les yeux, comme si sa simple vue l’insupportait. Une boule naquit dans l’estomac de Ash, et remonta dans sa gorge. Voilà la réponse dont il avait besoin, au fond de lui il s’en était toujours douté. Ce qui était arrivé l’autre soir n’était pour elle qu’une erreur due à l’alcool qu’elle avait bu. Ravalant sa déception, Ash  fendit la foule pour rentrer chez lui. Il n’avait aucune envie de rester, son esprit encore hanté par le regard froid de Kiel. Alors qu’il était à l’autre bout de la place, sur le point de quitter la fête, un cri strident retentit au loin. Un silence de mort tomba sur l’assemblée, chacun essayant de comprendre qui avait hurlé et pourquoi. Soudain quelque chose tomba du ciel, une masse blanche informe et atterrit avec un craquement dégoutant sur le sol. Bientôt elle fût suivit par des dizaines et des dizaines d’autres choses semblables, et le son des craquements emplit le silence, résonnant affreusement à travers le village. Lorsque l’une d’elle tomba à deux mètres de lui, Ash eut un haut le cœur. Les choses étaient en réalité des cadavres d’hommes et de femmes, nus, le regard vitreux. L’odeur qui se dégageait sur la place était épouvantable, et l’adolescent entendit plusieurs personnes vomir au loin. Alors seulement, la panique se propagea parmi les Phénix. La foule devint chaotique, chacun essayant de fuir ce spectacle atroce aussi vite qu’il le pouvait. Cependant Ash était incapable de bouger. C’était comme si son corps refusait de lui obéir alors que son esprit lui ne lui intimait qu’une chose ; s’enfuir le plus vite possible. Il ne pouvait détourner les yeux du cadavre de l’homme devant lui. Ses yeux sans vie étaient encore grand ouverts, et ils exprimaient encore une souffrance sans nom, mais ce n’était pas ça qui empêchait Ash de regarder ailleurs, c’était la couleur de ses iris. Orange ambré. Le corps qu’il fixait était celui d’un phénix. Au fur et à mesure qu’il réalisait ce que cela signifiait, il fut prit de nausée, sa gorge se noua, et sa vue se troubla. Il se rendit compte qu’il pleurait, et essuya d’un geste rageur les larmes traitresses qui striaient ses joues d’albâtre. La pluie de corps avait cessé, et il leva enfin la tête, s’arrachant à sa contemplation morbide. Il était seul sur la place qui était à présent pavée de cadavres de phénix. À vue d’œil, il semblait y en avoir au moins une cinquantaine, peut être plus. Un phénix était difficile à tuer complètement, de par leur capacité de résurrection, ce qui les rendaient immortels. La seule façon d’empêcher un phénix de renaître était de le vider de son sang. Ce qu’impliquait cette pluie de corps était encore plus terrible que tout ce qu’ils avaient pu imaginer de pire. Cela signifiait que quelqu’un savait qui ils étaient, et pire encore, comment les éliminer. Ash prit conscience du danger qui venait de s’abattre, au sens propre comme au figuré, sur son peuple. Ils n’étaient plus en sécurité dans leur microcosme au milieu de la forêt amazonienne, malgré les défenses magiques qu’ils avaient érigé autour depuis des siècles. Ils devraient quitter leur ville, et en bâtir une autre, mieux protégée, pour fuir ce qui les menaçait, quoi que ce fût. Machinalement, comme un automate, Ash se dirigea chez lui, laissant derrière lui le macabre spectacle qui ne présageait rien de bon. 

                                                                                         ***

La mère de Ash était en train de fourrer autant de chose qu’elle pouvait dans une malle de voyage. Livres, vêtements, bijoux, un tas d’objets hétéroclites. Ash était encore sous le choc de ce qu’il venait de voir, et il s’affala dans le canapé, le regard dans le vide. Le visage du phénix mort planait devant ses yeux, impossible à effacer. Safha vint se blottir contre lui, tendu comme si elle était prête à bondir sur le premier venu. Au bout d’un moment sa mère commença à lui hurler dessus :

« - Mais bon dieu Ash ! »

Ash se tourna vers elle et la regarda sans la voir. Il était encore hanté par ce qu’il venait de voir. Elle n’eut pas l’occasion de poursuivre car soudain un homme ouvrit brusquement la porte les faisant sursauter tous les deux. Il était rouge et essoufflé, comme s’il avait couru comme un fou, ce qui était probablement le cas. 

« - Rassemblement dans l’Académie. Immédiatement. »

Sans rien ajouter de plus, il claqua la porte et partit. Sa mère ne l’attendit pas et partit dans la seconde qui suivit, emmenant tant bien que mal la malle de voyage avec elle. Ash monta dans sa chambre, récupéra une veste et le bracelet de son père, la seule chose qui lui restait de lui, et se dirigea en courant vers l’Académie, Safha sur les talons. Tous les phénix prenaient la même direction, mais aucun ne parlait. L’heure était grave, et personne ne savait à quoi s’attendre. Il n’était plus qu’à environs un kilomètre de la pyramide Inca quand soudain une explosion illumina le ciel nocturne. Plusieurs similaires se succédèrent, puis un bruit sourd envahi l’air, comme si une armée d’oiseaux battaient des ailes à l’unisson. L’air sentait le souffre, et des cris résonnèrent autour de lui. Ash baissa les yeux et le spectacle qui s’offrit à lui le désola. Les gens se précipitait vers l’Académie, se bousculant sans pitié. Il vit une femme tomber, et personne ne l’aida tandis qu’elle hurlait alors qu’elle se faisait piétiner. Ash voulu lui porter secours mais alors qu’il allait l’atteindre, elle se volatilisa en un tas de cendres doré. Une autre explosion illumina les cieux, et des étincelles tombèrent en pluie vers les phénix terrorisés. Ash se couvrit la tête avec les bras quand une troisième explosion retentit, plus proche cette fois. Il sentit la chaleur de la déflagration au dessus de lui, et le feu lui brûla même le duvet qu’il avait sur les avant-bras. Des filles hurlèrent, les hommes jouaient des coudes, Ash n’avait jamais vu quelque chose d’aussi chaotique de sa vie. Tout n’était que désordre, panique. Brusquement, l’air se rafraichit, et le bruit s’intensifia. Ash accéléra, essayant de se frayer un chemin jusqu’à l’Académie. Il n’était plus qu’à une centaine de mètre maintenant, il savait qu’il serait bientôt hors d’atteinte de ce qui les pourchassait. Alors qu’il courrait, quelque chose le frappa par derrière, et il se retrouva à terre. Étourdis, il essaya de se relever aussi rapidement que possible pour ne pas connaître le même sort que la femme qu’il avait vu se faire piétiner quelques instants auparavant. Il se tenait toujours la tête quand il fût stoppé net dans sa progression par un mur de flamme. La chaleur qui s’en dégageait était insoutenable, et le mur ne cessait de grandir, l’obligeant à reculer. Les cris d’horreur et de terreur retentirent autour de lui, et il vit quelqu’un sortir en feu de l’incendie devant lui. Quelque chose clochait, normalement les phénix pouvaient maîtriser le feu par la magie. Le phénix n’aurait jamais du prendre feu, même le plus novice d’entre eux savait se protéger du feu. C’est alors qu’il comprit. Il comprit d’où venait ces explosions. Il comprit qui avait tué les phénix sur la place. Il comprit pourquoi la magie n’avait pas d’effet sur le feu. Il comprit aussi qu’il avait peu de chance de s’en tirer vivant. Le mur de feu s’écarta, laissant passer trois énormes reptiles, leurs écailles luisant d’un rouge sombre dans le clair de lune, leur tête triangulaires penchées sur le côté, et leur naseaux dilatés relâchant des nuages de fumée qui sentaient le souffre. Le cœur de Ash s’affola quand il vit les trois monstres devant lui. Les dragons étaient de retour sur Terre. 

De Feu et de CendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant