Partie 12

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Les flammes s'élevaient jusqu'à la voûte du sanctuaire, touchant presque sa peau bouillante. L'écho des voix qui psalmodiaient l'étourdisait. Il ne voyait que des ombres. Son corps entravé ne pouvait plus bouger. La fièvre l'emportait. Son esprit sombrait sous les incantations des hommes en capuches noires.

Harry se réveilla en sursaut, tremblant, avec ce sentiment de déjà-vu. Avec la même douleur qu'autrefois. Sa main le brûlait. Il venait de revivre son plus gros cauchemar. Il venait de revivre la pire nuit de sa longue vie.

Un cauchemar qui le ramena à la réalité, en voyant le corps nu allongé à ses côtés. Pris d'une panique soudaine, Harry s'extirpa des bras de Louis, prenant soin de ne pas le réveiller. Il avait besoin de s'éloigner de lui. De l'objet de tous ses désirs.

Qu'avait-il fait ?

A la fin de l'été, comprenant les sentiments de Louis, il s'était juré de ne pas succomber. Il en était certain, il paierait le prix de cet abandon total de son esprit. Cette nuit, il avait ressenti avec son corps, chérissant chaque minute, chaque seconde. Même son coeur mort avait presque eu un battement. Affolé, il tourna comme un lion en cage, en plein milieu du salon encore sens dessus dessous de la nuit précédente. Il était tiraillé. Il ne pouvait pas regretter, il en avait rêvé, fantasmer mais il réalisa qu'il était temps de dire la vérité à l'homme qu'il aimait.

Il installa le sac de frappe dans le dojo et ses membres entrèrent l'un après l'autre en contact avec l'accessoire. De plus en plus vite, de plus en plus fort. Son cauchemar avait ravivé en lui une fureur qu'il avait pourtant appris à maîtriser depuis de nombreuses années. Les choses avaient trop dérapé. Il posa le pour et le contre, sachant pertinemment le risque qu'il prenait mais Harry se refusait de continuer à mentir, encore et encore.

Louis le surprit en arrêtant fermement de ses deux mains le sac bringuebalant. Harry frappait d'instinct, pour extérioriser, sans prêter attention à son environnement. Sa peau habituellement si pâle était rougie par l'effort physique mais Louis sentit une certaine agressivité qu'il ne lui connaissait pas.
Harry s'arrêta net, le souffle saccadé. Il baissa la tête, n'osant pas affronter le regard de Louis. Ce dernier laissa son amant reprendre sa respiration et ses pensées. Il devina que cette envie soudaine de violence, cet acharnement, n'était pas anodin.

Les secondes défilèrent, installant une distance désagréable et une ambiance plus lourde entre eux.
On n'aurait pas dû, eut enfin le courage d'avouer Harry, le coeur lourd.
Sa voix douloureuse le trahit. Il releva la tête et posa son regard dans celui de Louis, qui entrevoyait déjà la discussion houleuse et déchirante qu'ils s'apprêtaient à avoir.
Pourquoi à chaque fois tu fuis ? Pourquoi tu t'obstines à nous séparer ?
Crois-moi, c'est pour notre bien à tous les deux.
Connerie, Harry ! s'exclama le jeune chasseur, déçu.

Un pas en avant, deux pas en arrière. Louis ne savait plus sur quel pied danser avec son amant. Le mystère avait son charme, il ne pouvait pas le nier, il y avait un côté excitant à leur relation secrète, à la personnalité énigmatique d'Harry, mais aujourd'hui, Louis attendait plus.

Ils ne se quittèrent pas des yeux, se défiant presque. Le malaise qui s'installait devint de plus en plus lourd. Louis appréhendait plus que jamais et il avait raison, car Harry s'apprêtait à le briser.
Tu ne t'es jamais demandé pourquoi on ne s'était jamais vu à la lumière du jour ? Tu ne t'es jamais demandé pourquoi ma peau était si pâle et si froide ? Pourquoi je te surveillais depuis si longtemps ? Tu ne t'es jamais demandé comment, à mon âge, je connaissais tellement de choses sur les créatures de l'ombres et les Enfants d'Abel ? Comment j'avais autant voyagé ?
Qu'est-ce que tu essaies de me dire, Harry ? paniqua le jeune homme.
Réfléchis bien, Louis, tous les indices sont là, juste devant tes yeux.
C'est quoi cette blague ? Tu joues à quoi là ?
Je ne joues pas. Je n'ai jamais joué. Crois-moi, j'aimerais que les choses soient différentes mais elles sont ce qu'elles sont et je te dois la vérité.
Non, tout ce que tu dis c'est... ce sont les symptômes d'un... Non !
Alors, je vais te poser une dernière question, Louis... Toutes les fois où tu as pu m'approcher, me toucher, commença Harry, la voix d'un ton soudainement plus grave, posant la main de son amant sur sa poitrine. Ou même cette nuit, lorsque tu as pu me caresser, as-tu ne serait-ce qu'une fois, déjà senti mon cœur battre ?

Louis eut un moment de recul.

Son cerveau ne parvint pas à assimiler l'information. Elle était bloquée et il resta perdu dans ce moment d'hésitation. Les mots se sortaient plus. Le jeune chasseur ne pouvait pas le croire. Il ne voulait pas le croire. Il ne voulait pas comprendre, plongé dans un déni de protection.

Ce n'était pas possible. Pas lui. Pas Harry. Il n'était pas l'un des leurs. L'une de ces créatures.

Harry lui avait prouvé sa loyauté, sa bonté, sa tendresse. Il avait transmis son savoir, partagé son expérience. Tels deux alliés, depuis plus de trois mois ils s'étaient mutuellement accordé une confiance aveugle. Mais surtout, ils avaient chacun ouvert leur coeur et s'étaient offert l'un à l'autre.

Non, Louis ne pouvait pas l'accepter.

Sais-tu qui sont les Damnés, Louis ? reprit Harry, sortant le jeune homme de sa léthargie.
Euh, oui, mais... c'est impossible, ils n'existent plus, ils... L'ordre ne pratique plus cette magie. Elle est très ancienne et très puissante...
Les mots de Louis sortirent de manière saccadée, hésitant entre chaque phrase, mesurant petit à petit où cette discussion les menait.
Oui, très puissante. Pour l'avoir vécu, il y a exactement 211 ans, ça, je le sais. Et mon espèce s'est assurée d'exterminer tous les prêtres qui la pratiquaient.
Non, tu ne peux pas... Les Damnés ne sont pas censés avoir survécu, essaya de comprendre Louis, la voix chancelante.
Je suis le dernier...

Les battements s'accélèrent dans la poitrine du jeune chasseur. Ses jambes flageolantes furent à deux doigts de l'abandonner et son corps recula inévitablement de l'homme qui lui faisait face sans qu'il ne puisse le contrôler. Son cerveau absorba enfin les révélations accablantes de son amant.

Harry était un monstre. Une erreur de la nature.

L'homme pour lequel Louis avait développé des sentiments était en fait l'une de ces créatures.

Un frisson d'horreur parcourut son corps entier. Son coeur explosa en mille morceaux dans un fracas sans précédent. La douleur était si forte qu'elle le terrassa. Il avait tout simplement l'impression que son amant venait de lui arracher l'organe à mains nues.
Alors montre-les moi ! fulmina Louis. Ose me montrer que t'es un de ces putain de suceur de sang, ragea-t-il en repoussant violemment Harry.
Louis, tu n'as pas besoin de voir, au fond de toi tu sais que c'est vrai. Et ça ne change rien à ce que je ressens, essaya tristement de se défendre le vampire.
Ce que tu ressens ? Ce que tu ressens ?! répéta le jeune homme en haussant le ton. Tu te fous de moi ! Les hommes... ou plutôt les monstres comme toi ne peuvent pas ressentir ! lui cracha-t-il amèrement au visage.
Je suis un Damné, Louis, depuis plus de deux cents ans, alors je sais exactement ce que ressentir veut dire.
Mais tu restes l'un d'entre eux.

Après cela, Louis suffoqua. Plus aucun son ne put sortir de sa gorge trop nouée. Les larmes le submergèrent silencieusement. La réalité reprenait ses droits. Louis avait cette sensation déchirante que, ce soir, lui aussi avait été damné.

Et il s'enfuit, laissant derrière lui son amant, devenu aujourd'hui son ennemi.

Blood MoonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant