Partie 15

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Harold Edward Styles avait été damné la nuit du 4 Juillet 1807. Le sort que les prêtres d'Abel lui avaient jeté était si puissant que la marque était indestructible. La croix gravée sur sa main le hanta pendant des années. Harry la gratta jusqu'à sang, la brûla, s'arrachant les chairs à vif mais jamais il ne réussit à l'effacer. La magie était si virulente que la peau, habituellement régénérée en quelques minutes, s'était elle aussi meurtrie des tortures que le vampire s'infligeait. Mais ce jeune vampire damné avait finalement une bonne étoile. A l'aube de l'ère Meiji, quand le Japon commença à s'ouvrir au monde occidental, le monstre désorienté embarqua sur un navire de fortune parti à l'aventure vers le pays du soleil levant, niché au fin fond d'une cale. Et il avait survécu, recueilli par un vieux maître Shidôshi. Il lui enseigna l'art de contrôler sa folie. Le sang humain lui manqua cruellement mais, avec le temps, il apprit à savourer le sang animal.

Son esprit avait presque guéri, mais le mal resta gravé dans sa peau.

La douleur de la bande blanche collante qui arrachait son épiderme ne fut rien comparé au regard de Louis qui petit à petit noircissait.
NON !!! hurla Louis de toutes ses forces. Son cri retentit à travers l'église, faisant écho contre les vitraux. Il se releva, cassant tout sur son passage. Les chaises volèrent. Les tableaux sur le mur, la carafe et les verres en cristal sur la desserte en fer forgé. Rien ne résista à son assaut. Les mots ne suffisaient plus. Il hurlait à s'en déchirer la poitrine et le coeur.

Comment la situation aurait-elle pu être pire ?

Le monstre contre lequel il voulait se venger, depuis toutes ces années, était en fait celui qu'il aimait déraisonnablement et passionnément.
Tu l'as tué, putain ! Tu l'as tué !
Harry essaya de le calmer, agrippant avec force ses bras. Louis se débattit, trop emporté dans sa fureur noire.
Je t'en prie, Louis, calme-toi. Louis, écoute avec ton coeur et pas avec cette haine qui te ronge. Je t'en supplie.
J'avais besoin d'elle, tu me l'as prise, putain ! Tu l'as tué !
Les larmes coulaient, Louis était englouti par le chagrin. Ses poings cognèrent dans tous les sens mais Harry les stoppa.
Ta main, je l'ai vu. C'était toi.
Le jeune chasseur continua de s'époumoner accablé par cette transe de colère. Il n'entendait plus les supplications d'Harry, persuadé qu'il faisait enfin face à l'assassin de sa mère.
Au fond de toi, tu le sais, jamais je n'aurais pu te faire du mal. Ce soir-là, oui, j'étais là. J'ai vu ce petit garçon secouer sa maman pour la réveiller. Ce petit garçon, si jeune et doté déjà d'un tel courage. Oui j'étais là, Louis, avoua le vampire. Mais je suis arrivé trop tard. Si j'avais pu la sauver, crois-moi je l'aurais fait. Si seulement... dit-il le cœur serré. Mais tu ne t'es pas démonté, tu as appelé ton oncle et ils sont vite arrivés sur place. Je t'ai vu tenir la pierre dans ta p'tite main. Je t'ai vu la tenir contre ta poitrine, comme si tu la protégeais déjà de toutes tes forces. C'était déjà ancré en toi. Et ce soir-là, Louis, j'ai compris où était ma place. J'ai compris et je me suis promis, que moi aussi je te protégerai toute ma vie.
La voix d'Harry était légère, vibrante d'émotions, Il repensait au passé du jeune homme, à la douleur du petit garçon. Ses mots étaient à la fois doux et incisifs mettant le doute dans l'esprit du jeune chasseur. Louis ne pouvait plus retenir ses sanglots, s'effondrant dans les bras de son amant.
Ta croix, je l'ai vu, je me souviens, je l'ai vu...
Je ne suis pas le seul à l'avoir, Louis.
Mais tu es le dernier.
A lui aussi, ils lui ont gravé...
Harry ne put finir sa phrase, qu'en un instant leur monde s'écroula.

Une horde de vampires surgit des deux entrées de l'église fonçant droit sur les deux amants. Mais ils étaient beaucoup trop nombreux et l'effet de surprise les avait complètement déstabilisés.

Le soleil se couchait déjà, et Louis avait perdu la notion du temps.

Harry tenta de se débattre mais bientôt des chaînes en argent lui broyèrent les os. Louis se jeta sur son sac attrapant les deux pieux qu'il avait amenés mais son corps fut violemment projeté, lui brisant presque le dos. Il rampa au sol, ses côtes le faisant déjà souffrir. Sa tête tournait, encore assommé par la brutalité de sa chute.
Louis !
La voix d'Harry résonna à travers la pièce ramenant le chasseur à la réalité. Les vampires qui le retenaient le forcèrent à les suivre. Harry avait beau lutter, il était prisonnier.
Louis ! Empêche le rituel, empêche Lia...
Son cri fut étouffé par une main puissante qui lui obstrua la bouche. Harry secoua la tête, ses pupilles se dilatèrent, ses yeux s'obscurcirent, voilés par une traînée de veines rouges. Ses crocs transpercèrent les doigts de son tortionnaire. Louis vit pour la première fois le monstre qui abritait son amant.
Rappelle-toi, Louis, là où ta mère t'emmenait, les balançoires...
Le coup porté fut fatal. La tête d'Harry tomba sur ses épaules, inerte. Et Louis vit le corps de son allié se faire traîner à l'extérieur par leurs agresseurs.

Liam l'avait promis : "Une fois que j'aurai la pierre, c'est toi que je viendrai chercher."

Cela ne pouvait vouloir dire qu'une chose et Louis eut soudain un éclair de lucidité. Son amour était condamné à une future mort certaine, dans les mains d'un vampire fou. Et les siens venaient sûrement de se faire attaquer à l'autre bout de la ville, alors que lui gisait là sur le parquet froid de la chapelle, impuissant.

William le Tyran avait enfin les deux choses qu'il cherchait. Le lendemain aurait lieu la nuit d'Halloween, cette fameuse nuit où une éclipse totale de lune était annoncée, cette fameuse nuit où la prophétie allait se réaliser.

Louis dû se faire violence pour reprendre ses esprits. Le corps encore douloureux, il se redressa avec difficultés. Il s'empressa de sortir de la propriété et regagna sa voiture aussi vite qu'il le pouvait, tenant ses côtes probablement fêlées. Le temps jouait contre lui. Il n'était plus vraiment question de choix. Harry était en danger mais là, c'est son instinct de chasseur, son âme de frère d'arme, son coeur de neveu et d'enfant appartenant à un même clan qui avaient parlé.

Dans son for intérieur, il savait que c'était vers les siens qu'il devait se diriger.

Blood MoonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant