9. Apprivoisement

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Quand Calypso revint à la petite librairie de la rue du Chat-qui-danse, quatre jours avaient passé. Elle avait déjà remarqué que le temps s'écoulait toujours plus vite en été que durant toutes les autres saisons, mais chaque soir elle s'étonnait encore de la rapidité avec laquelle la journée se finissait. Toutes les activités qu'elle pratiquait ne l'aidaient pas non plus à se poser et à profiter de l'instant présent : elle courait toujours partout, aidant sa mère à terminer et à emballer ses commandes, gardant May quand elle partait travailler sur des chantiers, lisant et relisant ses fiches de révisions de français, préparant des histoires à raconter la prochaine fois qu'elle irait visiter sa grand-mère.

De plus, ces derniers jours, elle avait été si occupé que malgré elle, elle n'avait pu repasser annoncer à Rhéane qu'elle serait absente, et que cette dernière devrait encore tenir un peu toute seule. Elle s'inquiétait de penser que la brune avait pu penser qu'elle l'ait abandonné, alors qu'elle avait gardé cette idée dans un coin de sa tête depuis qu'elle était sorti de la boutique. Elle avait à l'origine prévu de revenir dès le lendemain, sans sa petite soeur cette fois. Mais les circonstances en avaient décidé autrement : déjà, son bac de français qui avait lieu à quatorze heures, et à la suite duquel elle était sortie prendre un verre avec des amis convoquées à la même heure qu'elle. Ils avaient ensuite trainé ensemble jusqu'à dix-huit heures, et pour terminer la soirée elle était allée dormir chez une fille de sa classe, avec Julianne et une autre copine à elles.

Par la suite, les sorties s'étaient enchainés et elles s'était tout simplement retrouvé dans le flot des textos et des coups de téléphones, qui l'invitaient à la plage, à l'aquarium ou à la piscine, sans vraiment avoir le temps de penser à autre chose. Les villes portuaires offraient en été une large gamme d'activités, et les adolescents qui les peuplaient s'en donnaient à coeur joie. Saint-Malo ne faisait pas exception à la règle : avec ses multiples sports nautiques, ses sorties en bateau, ses cinémas, balades, expositions, bals, feux d'artifices, et la présence de la mer jamais très loin, elle s'imposait comme un lieu incontournable en Bretagne pour quiconque souhaitait passer un été à la fois dépaysant et culturel. Pour les plus paresseux, les plages qui s'étendaient sur les longueur de la ville accueillaient avec plaisir des visiteurs sur leur sable chaud, et pour les plus énergiques, des itinéraires de randonnée étaient proposés pour rejoindre Dinard ou le Cap Fréhel.

Mais tous ces loisirs n'étaient pas la seule raison de l'absence prolongée de Calypso à la librairie. La vérité, c'est qu'elle était stressée à l'idée d'y retourner. Pas stressée de la façon désagréable dont on stresse pour le bac et le permis de conduire, non, mais stressée avec la boule dans le ventre et le rythme cardiaque qui s'accélère dès lors que l'idée vient en tête, avec malgré tout une petite pointe d'excitation... Dès qu'elle se repassait le film de cette fameuse journée, elle ressentait cet étrange mélange de contentement et d'angoisse, mêlé à autre chose, comme ... de l'attente ?

Un peu paradoxalement vu l'endroit où elle habitait, Calypso aimait l'ordre et le tri, autant dans l'aspect physique que dans l'aspect mental. Chaque instant qu'elle vivait, chaque émotion ressentie était classée, triée, rangée dans une case, de façon à ce que son esprit soit toujours clair et jamais encombré de questions inutiles. Elle ne s'autorisait pas le doute et évitait ainsi de se torturer pendant des heures en se demandait si elle se sentait ceci ou cela par rapport à ceci ou cela. Jusque-là, sa méthode avait porté ses fruits, et elle pouvait dire avec fierté qu'elle ressentait quelque chose de bien défini à propos de chaque chose dans sa vie, excepté peut-être son père, sujet sur lequel elle ne préférait pas s'attarder.

Mais les moments qu'elle avait passé en compagnie de Rhéane restaient inclassables, des bouts de souvenirs flottants dans sa mémoire et l'empêchant de complètement passer à autre chose, la perturbant plus que jamais. Pourquoi une rencontre aussi anodine avait-elle autant d'impact sur elle ? De nature sociable et amicale, Calypso n'avait jamais eu de mal à se faire des amis, et elle engageait facilement la conversation avec n'importe qui sans que cela l'affecte vraiment. Mais là, c'était différent. Elle se repassait en boucle sa conversation avec la brune, trouvant là qu'elle aurait pu dire autre chose, ici rajouter une anecdote pour paraître plus intéressante... Elle parvint très vite a la conclusion qu'elle n'aimait pas se prendre autant la tête pour des broutilles, mais c'était plus fort qu'elle. Elle ressassait ses gestes, l'environnement autour, les expressions de son visage... Elle ignorait pourquoi elle s'en préoccupait autant.

La librairie du Chat-qui-danseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant