Les Mondes Parallèles

Tout en Nuances P.1

[Texte sur le couple Kay et Red]

- Regarde un peu sur la gauche, Kay. Plus d'abandon dans ton expression. Là ! Nickel.

Le flash de l'appareil photo haute qualité crépita trop de fois pour que le modèle puisse compter. A demi nu, debout devant un fond quelconque et entouré d'assistants qui faisaient voler des pétales autour de lui, le jeune homme prit une autre position, puis encore une autre. Il avait été sélectionné pour devenir la nouvelle égérie d'un parfum de grande marque et qui venait tout juste d'entamer sa promotion. La publicité était déjà tournée et diffusée depuis quelques jours et à présent, Kay faisait de nouveaux shoots pour diffuser les photos dans tous les magazines. C'était son plus gros contrat depuis qu'il avait été repéré et avec cette campagne, sa carrière allait décoller à n'en pas douter. Il fallait dire qu'avec sa taille, sa plastique à se damner, ses cheveux blond platine et ses yeux bleu lumineux, le mannequin attirait bien des regards.

- Merci gamin, on a terminé.

Dès que le photographe eut fini, Kay se rapprocha de lui pour venir regarder quelques photos. Celui-là avait été agréable tout le long de la séance et si l'égérie en jugeait par les images qu'il voyait dans le retour de l'écran, c'était du très bon travail. Un léger sourire courba ses lèvres et ses yeux bleus étincelèrent un peu plus qu'à l'accoutumée.

Si Kay était devenu mannequin, c'était avant tout parce qu'il ne savait pas trop quoi faire de sa vie. Il avait des qualifications, mais n'avait aucune envie de faire ce pour quoi il était destiné et avait préféré tout plaquer pour repartir de zéro. La chance avait rapidement été de son côté, lorsqu'un photographe l'avait repéré dans la rue, il y avait trois ans de cela. C'était sans trop y croire que le blond s'était lancé dans le mannequinat, mais c'était grâce à cela qu'il s'était découvert une passion : la photo.

A ce jour, il avait accumulé plusieurs appareils différents, numériques ou argentiques, mais son favori restait sans aucun doute son polaroïd. Il photographiait ce qu'il avait envie et ça pouvait être tout et n'importe quoi : un oiseau sur un lampadaire, un couple qui s'embrassait ou un bâtiment au couché du soleil. Du moment que l'image lui paraissait esthétique, Kay la capturait sur pellicule, lorsque ce n'était tout simplement pas sur son portable. Il tenait d'ailleurs un Instagram assez populaire et chacune de ses publications avait son petit succès. Le jeune homme prenait bien garde de ne pas y montrer son visage afin de ne pas attirer les groupies de son compte officiel dessus pour le pourrir.

Après avoir discuté et choisi une photo à ajouter à son book, Kay retourna aux vestiaires qui avaient été mis à sa disposition. Il remit ses vêtements, un pantalon sombre avec des bottines en cuir noir et une chemise claire ouverte jusque sur ses pectoraux. Il compléta le tout avec un gilet fin et doux bleu chiné et enfila une paire de lunettes à montures noires qui servaient plus à cacher son visage qu'à améliorer sa vue. Enfin ça, c'est ce qu'on lui avait dit et qui était étiqueté sur tout ce qu'il enfilait, parce que Kay ne pouvait pas voir les couleurs, encore moins leurs nuances. C'était également le cas de la grande majorité de la population, bien que les couleurs existaient, seuls ceux qui rencontraient leur âme-soeur étaient capables de les voir. Ceux qui n'avaient pas cette chance étaient condamnés à regarder le monde en nuance de gris et une unique couleur si frustrante. Pour lui, c'était le rouge, un carmin vif qui restait accroché à sa rétine même après qu'il eut fermé les yeux.

Le blond récupéra son sac besace dans lequel il trimbalait justement son appareil préféré avant de sortir du bâtiment, ni vu ni connu.

En faisant quelques recherches sur internet, Kay avait appris l'existence d'une structure abandonnée un peu plus loin dans le quartier et il avait bien envie d'aller y faire un tour. Changeant alors de trajet, le mannequin suivit le chemin que lui indiquait son portable. Ne connaissant pas du tout le coin dans lequel il se rendait, Kay aurait vite fait de se perdre. Les blocs étaient en bien moins bon état que ceux d'où il venait et il y avait aussi moins de monde... ou disons, moins de gens tape à l'oeil, sans compter l'absence de boutiques branchées. Ce fut après s'être faufilé entre deux murs qui formaient un étroit couloir que Kay déboucha dans la cour de l'ancien immeuble. Chose rare, un peu de végétation avait repris ses droits, probablement que les propriétaires avaient oublié les lieux et la ville n'avait pas encore la main mise dessus. Les hauts bâtiments tout autour concentraient la lumière sur l'endroit, lui donnant un air presque irréel. Et à quelques mètres de là où il se trouvait, juste devant l'entrée délabrée, il y avait quelqu'un accroupi, qui caressait du bout des doigts un des nombreux chats qui se trouvaient autour de lui. Kay ne pouvait que le regarder, éclatante tâche vermillon au milieu du cadre qui lui parut soudain bien fade.