Troisième partie

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Ce fut Bérénilde qui tira Thorn de sa torpeur affolée avec sa voix cristalline, enfonçant un doigt entre ses côtes. S’était-il laissé aller à ce point? Il se mordit la joue, sentant sur sa langue le goût amer du sang – si la douleur pouvait l’aider à rester lucide, tant mieux.

"Vous me confirmez donc que tous les membres de ma famille sont morts au cours de cette chasse? Absolument tous?" La réponse était prévisible. Si un des Dragons était encore en vie, il serait déjà rentré à la Citacielle avec fracas, tranchant tout en vue. Toutefois, la réponse de Jan alourdit l’air encore plus qu’il ne l’était déjà.

"Nous n’avons trouvé aucun survivant. Certains corps, ils sont méconnaissables. Je vous jure sur ma vie que nous éplucherons cette forêt aussi longtemps que nécessaire pour rassembler tous les cadavres. Leur offrir une sépulture décente, vous comprenez? Et qui sait, hein? L’ange en a peut-être sauvé d’autres?"

Sa tante s’agita en un sourire onctueux, ses bouclettes tranchant l’air. Sa prise sur son épaule se fit plus forte tandis qu’elle continuait ses fines gesticulations, proche de l’hystérie.

"Vous êtes bien naïf! À quoi donc ressemblait-il donc, ce chérubin tombé du ciel?  À un enfant bien habillé, blond comme les blés, adorablement joufflu?" Thorn faillit hoqueter. Sa tante ne devait pas, ne pouvait pas perdre le contrôle. Personne ne pouvait.

"Vous le connaissez?" Jan les fixait avec des yeux de merlan frit, alors que le regard de Bérénilde s’assombrissait de minute en minute. Elle lissa sa robe, ou du moins ce qu’il en restait après les passions de Farouk, avec un revers de la main sec. Sa voix, suivant un rire qui n’avait plus rien de doux, se fit tranchante. 

"Des Bêtes possédées, c’est bien cela? Votre ange leur a soufflé dans la tête des illusions que seule une imagination vicieuse peut en concevoir. Des illusions qui les ont enragées, affamées, puis qu’il a dissipées d’un claquement de doigts." Elle se perdait. Elle ne pouvait pas. Elle ne devait pas. Il devait l’en empêcher. Il la fixa de ses prunelles d’acier, ses griffes effleurant presque celles de sa tante.

"Savez-vous pourquoi ce petit ange vous a épargné? Pour que vous puissiez me dépeindre, dans les moindres détails, la façon dont ma famille a été massacrée."

La tension se dissipa subitement dans la voix douce d’Archibald. Ici et maintenant, Thorn aurait apprécié la remarque de l’ambassadeur qui effleurait son tatouage frontal d’une gestuelle négligente, ne trahissant rien derrière sa posture avachie. Il l’aurait fait si l’idiot n’avait pas adressé son sourire à Ophélie au lieu de Bérénilde. 

"C’est une accusation très sérieuse, chère amie. Une accusation devant une multitude de témoins."

Coupée au milieu de son élan, Bérénilde se calma en un flottement de tissu, se parant d’un sourire délicat. Un échange doucereux s’ensuit entre elle et Archibald, couvrant tous les non-dits qui flottaient – comme, de nouveau, une pièce de théátre. C’était cela, la cour. Un enchaînement de platitudes masquant coups de couteau. Un monde qui l’écoeurait.

"Une accusation? Ai-je seulement avancé un nom?"

"J’ai cru, en vous écoutant, que cet ‘ange’ ne vous était pas étranger."

L’espace d’un seconde, sa tante leva un regard perdu vers lui. Il répondit par le sien, glacial, catégorique.

"Je suis bouleversée par la mort de ma famille. La douleur m’égare. Ce qui s’est réellement passé aujourd’hui, nul ne le saura jamais."

"Nous considérons donc l’affaire comme classée? Un déplorable accident de chasse?" Enfin. Une demi-heure de discussions pour en arriver à cette conclusion. Thorn se demandait pourquoi diable Archibald était ambassadeur avec son manque de compétences – quoique… à part coucher et faire la fête, il ne faisait que peu.

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