Saint-Harne

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A Saint-Harne, il y avait depuis toujours des faits connus de tous. Des spécificités propres à cette ville que nul n'ignorait. Chacun était d'accord sur le fait que la famille du directeur de l'école fraudait les impôts depuis des générations. Le prêtre de la paroisse savait très bien parler des pêchers charnels étant lui-même le plus fervent représentant de distorsions, quiconque s'aventurait sur la propriété des Marklas s'en mordrait les doigts et un secret né au sein de cette ville ne restait jamais inconnu bien longtemps. Dans cette liste se trouvait également Mia Hallen. Elle était même en tête du classement. Un enfant de cinq ans pouvait tout autant réciter son histoire que celle de sa propre famille. Et pourtant, elle incarnait le seul grand mystère apparent de la ville. Née dans une maison d'avocats, elle était l'aînée de la fratrie avec un petit frère de quatre ans son cadet. Elle avait été une petite fille tout à fait ordinaire quoi qu'extrêmement joyeuse et chaleureuse envers les autres. 

C'était arrivé le jour de ses quatorze ans. 

Ce qu'il s'était exactement passé restait une énigme que sa famille et elle-même avaient à cœur de cacher. Savaient-ils seulement l'origine exacte du problème ? Nul ne pouvait le dire. Ce qui était certain cependant, était que depuis ce jour Mia Hallen, le sourire de Saint-Harne, n'avait plus jamais prononcé le moindre mot. Elle n'avait plus non plus communiquer avec quiconque. Dès lors, chaque habitant avait émis bons nombres de spéculations sur la raison de son mutisme. Les journalistes régionaux s'étaient ravis de publier sur le sujet et les psychologues les plus renommés du pays s'étaient sentis assez orgueilleux pour se croire capable de déterrer l'origine de cet état et d'en trouver une solution. Malgré les efforts déployés pour la faire reparler, que c'eût été par un traumatisme ou par entêtement, le son de sa voix n'eut jamais été réentendu. La police avait même ouvert une enquête sur ses parents, pensant qu'elle eut été témoin ou victime d'un crime assez terrible pour la rendre muette. Mais rien. Il n'en était rien ressorti. Alors les citadins avaient appris à vivre avec elle comme elle était devenue. S'adaptant à son silence. Son histoire avait vite fait d'être remplacée par une autre. Pourtant, chaque ménage prévenait ses enfants de la fatalité que la fille Hallen incarnait. La vie des Hallen en avait été complètement chamboulée. Ils ne sortaient pratiquement plus de chez eux et avaient cessé tout contact social. Seul le fils avait gardé une existence un tant soit peu normale.  Il était devenu mécanicien pour l'unique garage de la région et s'était installé dans un petit studio avec des amis plus âgé malgré le fait qu'il était encore mineur. Même lui, pourtant très proche de sa sœur, n'avait jamais su ce qu'il s'était passé. Ne se souvenant plus de la soirée d'anniversaire de Mia, à quelque part, il se sentait coupable de n'avoir rien pu faire pour elle. Elle s'était refermée si soudainement au monde que ses proches n'avaient pas eu l'occasion d'agir. Elle ne leur en avait pas donné l'opportunité. 

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Les adultes avaient pour habitude de déclarer que les jeunes d'une vingtaine d'années se trouvaient dans la fleur de l'âge. Ce n'était certainement pas moi qui allait les contredire. Mon nom était Michael Marklas et ma famille était l'une des plus influentes des alentours, bien au-delà de Saint-Harne. N'ayant qu'un seul frère, on pouvait dire que j'étais un enfant plutôt gâté par mes parents outrageusement riches. De plus, mon caractère adaptatif me permettait de me sortir de n'importe quelle situation. J'étais bien né, assez intelligent, beau parleur et plaisant à regarder. Je connaissais précisément ma valeur et avais appris à utiliser mes défauts à mon avantage. J'allais avoir vingt et un ans cette année et ma vie était déjà plus belle que celle d'au moins le quart de la population. Je le savais et n'en avais absolument aucun remord. Inscrit à l'université en économie, je n'allais certainement pas changé mon train de vie, bien au contraire. Je comptais faire progresser l'industrie familiale encore plus loin que mon père ou son père lui même aient pu le faire. Je ne me contenterai pas de notre agglomération mais viserai le pays tout entier. C'était mon ambition. J'étais persuadé que j'allais la mener à bien. Rien au monde n'aurait pu m'arrêter. Rien hormis elle.

InsondableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant