chap 2, Juan-Lúis #2

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Prendre la boîte. Remplir la boîte. Fermer la boîte. Renvoyer la boîte. Telles sont les actions mécaniques et répétitives qu'accomplit Juan-Lúis dans l'usine de pâté pour chiens dans laquelle il travaille. Il porte l'uniforme sanitaire et réglementaire imposé par l'entreprise Mon Toutou Tout Doux : un pantalon trop large, des Crocs blancs, une charlotte en matière synthétique d'où s'échappent quelques mèches de cheveux rebelles qui finiront sûrement dans la pâté de nos chers toutous tous doux ainsi qu'une blouse blanche un peu laide qui, sur n'importe qui aurait eu l'effet d'un vulgaire sac à patate, mais qui, sur Juan-Lúis, ne fait que sublimer les muscles fins mais saillants de son torse. Le sexe à pile de Juan-Lúis, en cet instant, je peux vous garantir que c'est bel et bien du Duracell.

Inconscient du charme discret mais ravageur qui émane de lui, Juan-Lúis prend la boîte, remplit la boîte, ferme la boîte et renvoie la boîte. Juan-Lúis apprécie pas mal son job saisonnier : s'il c'était agit d'un hôtel sur TripAdvisor, il lui aurait mis trois étoiles et demi. Ce que Juan-Lúis aime vraiment dans son travail chez Mon Toutou Tout Doux, c'est qu'il peut travailler en musique. Ainsi donc, trois fois par semaine, ce n'était pas encore sa peau contre sa peau mais bien son baladeur Walkman dans les oreilles que Juan-Lúis s'efforçait à la tâche des boîtes de conserves Mon Toutou Tout Doux. Notre protagoniste possède un Walkman, un AUTHENTIQUE Walkman. En effet, JL (comme on l'appelle dans le milieu des boîtes de conserve canines) est un mec "vintage". Il aime tout ce qui est vieux (trait d'ailleurs commun à son ami Lancelot, comme nous le verrons par la suite) et, par dessus tout, il aime son Walkman des années 1980.

Juan-Lúis aime laisser son esprit divaguer au rythme de la musique, tandis qu'il prend la boîte, remplit la boîte, ferme la boîte et renvoie la boîte. Dans sa playlist de 1 349 vieilles chansons qui défilent en aléatoire, il passe de Boney M au groupe "Kiss", de Michel Delpech à Madonna, quand, soudain, arrive un titre de Mike Brant. Un morceau intitulé Laisse-moi t'aimer.

Juan-Lúis prend la boîte, remplit la boîte.

Laisse-moi t'aimer...

Il ferme la boîte. La voix suave de Mike Brante raisonne dans ses oreilles, par le biais de cet incroyable baladeur Walkman.

...toute une nouit...

Il se sent un peu ému par la mélodie et le thème subtil évoqué dans ce chef d'oeuvre musical du XXe siècle et renvoie la boîte.

...Laisse-moiiiiiii...

Une nouvelle boîte arrive, vide.

...toute une nouiiii-ii-iiiit...

Il prend la boîte, mais, happé qu'il est par la mélodie romantique de la chanson, la boîte lui reste dans les mains, vide.

Faire avec toi...

...le plus long, le plus beau voyage...

La musique l'a arrêté, et maintenant Juan-Lùis n'arrive pas à lâcher la boîte.

...Veux-tu le faire... eussi ?

Oh ! Que oui ! Il le veut ! L'âme de poète de Lúis est terriblement émue par les vers du célèbre israélien, le lyrisme irréfutable de ces paroles l'atteint en plein coeur. Juan-Lúis est soudain transporté par l'idée de ce voyage mystique et voluptueux aux côtés d'un mystérieux compagnon au corps de rêve.

Une hirondelle fait mon printemps !

Ciel ! Mais qu'a donc Juan-Lúis ? Il n'arrive plus à rien faire du tout ! Il sent monter le long de ses reins un frisson nouveau, quelque chose entre le désir et la joie, quelque part entre le besoin et l'envie, entre les genoux et le bas-ventre.

JuanvesterWhere stories live. Discover now