souvenirs

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La plage était sous une épaisse couverture de brume et pourtant, en plissant les yeux, je pouvais observer les contours de ton visage illuminé par la lune. Nos chevilles glacées étaient caressées par l'océan, aux allures d'un miroir d'argent. Sur nos cuisses rouges, presque violacées, s'étendaient une pellicule de givre . Pourtant, à chaque bouffée de cigarette, je ne sentais plus le froid.
Tu restais pendue à mes lèvre, au goût d'alcool, comme le dernier des remparts. Peut être que tu avais peur de ce vide, cette plage, une tombe dépouillée. Des corps, ensevelis sous le sable épais de Bretagne et les bouteilles vides qu'ils frôlaient du bout des doigts. Derrière ton épaule, les éclats de verre formaient une traînée d'étoiles qui goûtaient les cristaux de sel. Tu ne t'en rappelles pas de ça. Tu ne voyais que les perles de sang qui maquillaient les fêtards endormis.

Alors, dans cet état qui posait un voile sur mes yeux, je m'avançais vers la grande lune comme le phare de mon esprit fatigué. Mes doigts tremblant esquissèrent des arabesques hasardeuses sous tes clavicules puis je te laissais au large. Ta silhouette diaphane se brouillait dans un brouillard blanc, tu étais déjà un fantôme. Ne me demande pas pourquoi je suis partie, tu sais que je n'en ai pas la moindre idée. Mes pieds s'enfonçaient à chaque pas dans un cimetière de coquillages. Je me laissais emporté par le courant, bercé par la mélodie des vagues.
Le temps d'un instant, mes sens revinrent et je m'immobilisai. Tout prit feu. Alors mon corps s'écroula tel une épave et fut emprisonné dans un labyrinthe de coraux. Par instinct, je me débattais, mais tout ce qui m'importait, ce dont je me souviens le mieux, est le spectacle des lueurs sous l'eau, un camaïeu de bleu qui se dissipait pour laisser place au noir opaque sous mes paupières. Non, je ne me souviens pas vraiment de la suite. De tes pleurs, les néons vacillants, l'encre rose de l'aurore cachée par cette foule autour de mon être las. Le goût de vodka dans ma gorge me suffit. De toute façon, j'ai toujours eu une très mauvaise mémoire.

laboratoireWhere stories live. Discover now