la Mort

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Il pleuvait ce soir là, des torrents. Les griffures de la pluie contre le bidule était plus bruyante que les constants coups de klaxon. Tant mieux, pensa Nina. Elle souriait, alors que les gouttes qui dévalaient ses joues avaient un gout salé et que ses converses s'enfonçaient dans la boue. La place de la Nation était éteinte. Un trou d'obscurité aux effluves d'herbes mouillées, entouré de cette ville insomniaque, illuminée, trop illuminée. Des lampadaires, des phares, des restaurants. Le regard fatigué de Nina se posait sur la route, la ronde éternelle de ces voitures trop pressées.

- Je sais que tu veux traverser. 

Nina se tourne vers cette voix familière, silhouette dans l'ombre, assise à ses côtés.

- Tu n'as vraiment rien d'autre à faire, pouffe la jeune fille, je suis sur qu'il y a des millions de suicidaires dans le monde et tu décides de suivre une ado paumée.

Nina alluma alors une cigarette. La lueur du feu teintait d'or ses mains glacés mais ne peignait pas les contours de sa bonne amie sans visage.

- Ennuyeux, rétorqua la Mort. Les humains sont si prévisibles. Je n'ai jamais vraiment le temps de parler avec eux. Ils partent en courant et ne me recroisent que des décennies plus tard, ou alors ils ne leur restent que quelques souffles rauques. Mais toi, c'est différent.

L'adolescente s'adossa sur la statue de marbre, ses pupilles perdues dans les arabesques de fumée, un camaïeu de rouge sur tableau noir.

- Je ne te cherche pas, soupire Nina, je ne te fuis pas non plus. Tu es juste là. Le jour, tel mon ombre sur les briques rouges de mon lycée. Tu me souffles à l'oreille, à chaque clope, chaque feu rouge, chaque piqure. Je choisis juste de ne pas t'écouter.

- Et la nuit, quand mon ombre s'efface ?

Une brise glacée dénuda alors son poignet.

- Elle se dilue dans mon âme. Tu t'empares de tout, ma raison, mes racines. Nina rit, hystérique. Mais j'aime ça, reste. Torture moi autant que tu le veux. Que serait la vie sans cette porte de sortie, ce mystère insoluble. Peut être devrais-je être terrifiée, ou t'en vouloir, mais ton souffle froid dans ma nuque m'exalte, me vivive. Etonnant, non ?

La jeune fille jeta le mégot dans l'encre du ciel et regarda fixement le reflet de la ville sur la route, un miroir mouvant, sans contours ni règles, comme une porte vers un autre monde. La Mort s'en alla, confiante, sa fauche dans une main et un compte à rebours dans l'autre. Un rire satisfait retentit. 15 minutes.

laboratoireWhere stories live. Discover now