chimère

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Je l'avais déjà aperçu quelques fois. une silhouette élancée aux discrètes courbes, ondulant à chaque foulée derrière un drapé de velours mauve. J'entendais au loin le claquement de ses talons contre le bitume chaud. Alors je m'approchais, mais il était déjà trop tard. Juste une ombre peinte sur les pavés d'or, l'esquisse de très, très longues jambes qui feraient pâlir ces squelettes qu'on adule. Elle se promenait,  divaguait dans les ruelles piétonnes avec le soleil comme guide. Peut-être qu'elle partait le rejoindre dans l'encre rose du ciel. Dans ma poche, quelques clichés d'elle. Une cheville dépassant d'une camionnette. Le reflet de sa jupe dessiné sur une vitre. Je parcourais Paris, mon appareil photo autour du cou. Ce n'était pas une femme. Il y avait un je-ne-sais-quoi animal. Une allure, une prestance qui la détachait de ses copies sans saveur qui s'entassaient dans les terrasses de café. Je gribouillais des souvenirs et des repérages sur un carnet miteux.
Mais quand je la vis pour la première fois, je sus que notre rencontre était écrite. Ce soir là, elle portait une longue robe de soie rouge. Seul ses fines chevilles ocres étaient nues. Elle était comme dans mes rêves. Des hanches étroites qui se balançaient au gré du vent, saluant les fenêtres du premier étage. Des doigts délicats qui caressaient un chat endormi sur un toit. Enfin, un pendentif en diamant dans le creux de ses seins, si loin, si éclatant, qu'on le confondrait avec une étoile. Son cou s'enfonçait dans les nuages et son visage était dissimulée derrière un nuancier de violet. Je ne m'avouais pas vaincu. Je grimpai un lampadaire. Puis un arrêt de bus. Un immeuble. Rien n'y faisait, ses épaules jouaient à cache-cache derrière le brouillard de plus en plus sombre. C'était bientôt la nuit. Son décolleté tourna au orange. La tour Eiffel apparu comme ultime solution. La créature m'attendait, presque immobile. Ses doux mouvements créaient une légère brise. Une fois en haut je pus enfin voir son visage. Le vent m'assourdissait, alors je hurlais pour qu'elle m'entende. Je lui proposais un dîner, une promenade, une fuite ou juste une nuit. Les mots se déconstruisaient dans ma bouche, s'emmêlaient, partaient en voyage, esquivaient les ondes. Elle se contenta de se baisser pour baiser mon front et elle partit. Je restai quelques minutes avec un sourire béat. Quel périple ! Il faut dire qu'elle en avait un long cou, cette femme girafe.

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⏰ Last updated: Mar 26, 2019 ⏰

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