Chapitre un

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Je redoutais plus que tout ce moment, le moment où j'allais devoir m'asseoir seule à une table. Eloignée des autres, je mangeais discrètement l'exécrable plat de la cantine, acheté avec l'argent que ma mère m'avait préalablement donné la veille.

Je m'efforçais de rester insensible à ce qui m'entourait, je gardais la tête basse et le regard rivé sur mon plateau. Parfois, certains regards étaient tellement oppressants que je pouvais les sentir, mais je me rassurais dans la théorie que j'avais tellement peur qu'on me regarde que j'y croyais. Comme une sorte de réaction masochiste de mon imagination.

Une boulette d'aluminium venait d'atterrir dans mon assiette, une deuxième la suivit péniblement et finit son périple sur le sol. J'enlevai automatiquement le morceau de pain imbibé de mayonnaise qui venait de s'écraser sur mon pull.

- Hey regardez, mais c'est l'extraterrestre! T'es toujours vivante?

Une bouffée de chaleur caressa mon dos, je ne voulais pas savoir qui avait dit ça, je ne voulais pas admettre que tout allait recommencer.

- Elle est toujours aussi bizarre en tout cas, avais-je entendu plus loin.

Je sentais mon cœur s'emballer et ma respiration commençait à faire de même. Je bu une gorgée dans ma bouteille d'eau avant de rassembler mes affaires. Je déposai mes couverts dans mon assiette et attrapa l'une des bretelles de mon sac à dos.

Je m'apprêtais à me lever quand, en face de moi, une silhouette se rapprochait, posant ses mains sur ma table. Je restais figée, mon cœur cognait contre ma poitrine. C'était lui. Une petite beauté angélique avec le diable à l'intérieur. Il portait une chevelure bouclée et noire comme le charbon. Naturellement belliqueux et autoritaire, Ethan pensait déjà avoir un rôle éminent dans la société.

Je n'aimais pas le voir, même s'il était plaisant à regarder. Il était pire que les autres, à me faire penser que je ne méritais rien de bon. L'inquiétude était toujours là, fracassante, à me rappeler que le temps passe, que je le perds, je le gaspille.

Il avança son visage si près de moi que je pouvais presque sentir sa chaleur corporelle dans son odeur. Je clignais des yeux très souvent sans m'en rendre compte, mon regard fuyait le sien.

- Reste ici, de toute façon on sait tous que tu vas passer le reste de la récréation à te cacher dans les toilettes, murmura-t-il.

Je sentais mon sang bouillir dans mes joues. Je baissais les yeux, à présent je pouvais juste voir ses mains saillantes appuyées sur la table, si près des miennes. Tremblantes, je les ramenais sur mes genoux. Je fermai les yeux.


Toute la table voisine et quelques autres curieux m'épiaient, j'en étais sûre. Le ricanement d'un d'entre eux s'esclaffa et fit écho dans ma tête, je frissonnai. Je ressentais les mêmes sensations intérieures que ce matin, un cauchemar.

J'entendais mon pouls dans mes oreilles et sentais mes doigts trembler sur mes genoux. Une envie irrépressible de laisser ruisseler ma peine sur mes joues se démarquait des autres émotions qui ensorcelaient mon corps.

- Tu as vu ? Tu as une tache sur ton pull, remarqua-t-il. T'es vraiment sale, tu ne sais pas manger proprement ?


Mes doigts se crispèrent autour de mes genoux, ma mâchoire se serrait, creusant mes tempes. Comment en étais-je arrivée là ? Que s'était-il passé ? Je ne me souvenais plus.

Je ne lui tenais jamais tête, je n'y arrivais pas. J'avais pris l'habitude de ne pas réagir, je m'efforçais de faire abstraction de son existence.

Mon cœur allait exploser, les murs peint d'un mélange de jaune virant au vert, commençait à me faire suffoquer. Je fermai les yeux, je voulais que tout s'arrête, maintenant. Je ne pouvais pas rester ici plus longtemps, je pris mon sac et mon courage à deux mains pour sortir d'ici, et...

Ethan n'était plus là.

Je l'ai seulement dit à la luneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant