fugue accordée

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Et puis un jour ce fût la fois de trop.
Le coup de trop dans les côtes. L'insulte de trop dans le coeur.

Alors je suis montée à l'étage, ai pris mon sac, balancé des vieux t-shirts beaucoup trop larges, de l'argent, de la nourriture et la photo de maman, fermé mon sac. J'enfila un vieux pull bordeaux toujours trop grand, ouvrit la porte et sortit.

Papa me m'a pas retenue. Peut-être qu'au fond il savait lui-même que c'était sûrement la meilleure chose à faire pour nous deux. Qu'au final, il faut s'éloigner pour mieux guérir. Que pour aller mieux, on ne doit plus se souvenir. Qu'on ne peut pas grandir dans la maison où on a été blessé.

Je pris la route sans de destination. Je fis un détour par le cimetière, juste par habitude, puis pris le premier bus qui arrivait.

Ma tête contre la vitre du bus regardait le paysage défiler. On arrivait maintenant dans la grande ville puis dans la vieille campagne.
Il pleuvait encore et ça me rassurait. Et je m'endormis.

Je sentis quelqu'un me tapoter doucement sur l'épaule. Je me réveillais en sursaut.

- C'est le terminus.

C'était un grand homme, cheveux bruns bouclés. Est-ce que c'était le conducteur ?

- Le terminus. C'est là. Il faut descendre, rajouta-t-il.

Beau mais insistant, apparement.

- Ah, merci.
- De rien.

Un long silence suivit. Il ne bougeait pas du couloir du bus, m'empêchant de passer et donc de sortir. Il m'observait bizarrement - il ne doit pas avoir beaucoup de gens pour un bus vers la campagne, mais toujours très calmement.
Deux ou trois mèches bouclées tombaient sur son front. Ses cheveux semblaient avoir souffert de la pluie, et lui-même était trempé de la tête au pied. Il avait un air arrogant, froid. Ou peut-être que c'était le temps.

Puis il brisa l'échange de regards et sorti du bus. Je fis de même en mettant ma capuche sur ma tête en sortant.

- J'ai cru que tu allais rester dedans et repartir pour un tour, ajouta-t-il.
- Tu me bloquais le chemin.
- Il fallait me passer sur le corps.

Il dévoila un sourire à sa dernière réplique.

- Peut-être une prochaine fois alors. répondis-je sans vraiment y penser. Honnêtement, je n'avais pas le coeur à draguer. J'étais une jolie fille et j'en avais conscience, mais là ce n'était vraiment pas le moment.

Je m'assis sur le siège d'attente de l'arrêt de bus et je me mis à l'observer.
Il n'avait pas de parapluie, et il pleuvait des cordes. Il ne semblait pas vouloir partir, et il me regardait la route. J'avais envie d'être seule.

- Tu attends quelqu'un? brisais-je le silence.
- Non.

Son non était froid et tranchant. Je décida de le laisser à ses pensées.

- Pourquoi, toi oui ? il rajouta.
- Non, le copiais-je.
- Ah.

Je vis qu'il remarqua les bleus sur mes genoux. J'essayais de les cacher tant bien que mal. Le silence était pesant.

- C'est quoi ton nom? il demanda.
- Ça dépend.
- Comment ça?

Je ne répondît pas.
Et puis j'étais fatiguée. Je n'avais nulle part où aller. Et tous les hôtels étaient a des kilomètres à la ronde. Alors je m'endormis sous l'arrêt de bus.

AnesthésieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant