James (2/2)

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Léa. Léa, Léa, Léa, Léa. Léa, Léa, Léa, Léa, Léa, Léa...

Léa. C'est la première chose qu'il prononce lorsqu'il retrouve pleine conscience.

C'est aussi la première chose qu'il pense, et la première qu'il voit. Ses yeux sont encore fermés, parce qu'ouverts, tout est trop noir, tout est trop vide, tout est trop triste. Garder les yeux fermés pourrait être une solution moins insupportable qu'une autre, si seulement la seule vision que ses paupières diffusaient n'était pas toujours cette même photo. Celle que l'inspecteur avait hier indignement plaqué contre le gris lisse de la table, alors qu'il n'avait strictement aucune idée de ce sur quoi ses doigts boudinés étaient posés, alors qu'il était trop borné, trop stupide et apathique pour prendre conscience de la valeur de ce cliché qu'il malmenait.

Comme il s'y attendait, ouvrir les yeux n'arrangea que peu de choses, parce que la vision s'offrant à lui n'était que plus douloureuse. Quand il se redressa, il remarqua la photo accrochée au mur lui faisant face. À vrai dire, il la connaissait, il s'était déjà réveillé dans cette chambre et ce lit auparavant, mais cette fois-ci, il fut surpris de la voir ici. Son esprit avait encore du mal à intégrer que l'univers subsistait même au milieu du chaos. Sur la photo, James et Léa s'embrassaient, sans regarder l'objectif, sans essayer d'être plus beaux qu'ils ne l'étaient, n'étant qu'amoureux et passionnés, pour toujours.

James. James. James. James. James. La voix de Léa. James. James. Répète son prénom. James. James. James. Dans sa tête. James. James. James. James. Sans s'arrêter. James, James, James, James, de plus en plus fort, James. James. James. James. James.

Elle l'appelle, il se tourne et elle l'embrasse.

Elle l'appelle, il se tourne et elle l'embrasse.

Elle l'appelle, il se tourne et elle l'embrasse.

Elle l'appelle, il se tourne et elle l'embrasse.

Elle l'appelle... James... James !

Il se met à pleurer, il secoue la tête à se tordre le cou. Il veut l'écouter, l'avoir avec lui encore, mais pas comme ça. Il souffre à cause d'elle, et il déteste que ce soit sa faute. Il s'en veut terriblement de souffrir, alors il se déteste encore plus fort, pour ne pas la détester, elle, pour la préserver de tout ça, même maintenant, même lorsqu'il est trop tard.

C'est maintenant son rire qui se met à résonner. Doux, une mélodie ruisselante qui caresse ses oreilles. Assourdissant, une tempête virulente qui ébranle ses tympans. Puis elle se tait à nouveau.

Il regarde encore la photo face à lui. Il l'adore, et il continuera de l'adorer, même si ça doit le briser. Il fut soudain arraché à ses songes. La mère de Léa toqua à la porte avant de l'entrouvrir.

« - Tu devrais te changer et prendre une douche chaude. Ta mère n'aimerait pas apprendre que tu as dormi habillé, lui conseilla-t-elle avec un sourire léger, sincère mais souffrant. »

Ses cheveux étaient restés en place, mais ses yeux étaient petits, faibles et cernés. Il était évident qu'elle n'avait pas dormi. Ses lèvres restaient toujours à demi closes, ayant encore trop de choses à dire à une personne déjà partie. Elle s'en alla après un dernier regard compatissant.

James retira son sweat-shirt et se leva. Il atteignit la salle de bain et s'y considéra dans le miroir. Ses cheveux étaient juste ébouriffés, mais il avait bien trop bonne mine en comparaison de ses états d'âme. Il avait toujours eu des atouts physique, une carrure athlétique. Mais à quoi bon un beau corps si celui qui l'anime a l'esprit torturé ? Il en était là à nouveau, à essayer de se trouver un quelconque intérêt alors même qu'il n'en trouvait plus à quoi que ce soit.

Il sentit quelque chose sur sa nuque, une sensation fantôme qui s'essouffla aussi vite qu'elle s'était faite sentir. Il crut à une main qui le tirerait vers elle afin de l'étreindre, puis à un souffle chaud qui naîtrait d'un rire qu'il aurait provoqué, ou encore à des cheveux, ceux de sa belle prenant d'assaut son cou avec ses lèvres. Mais ce n'était rien.

Toutes ces hallucinations lui faisaient se demander s'il n'était pas devenu fou. Mais la douleur à l'origine de celles-ci l'empêchait de s'en préoccuper réellement. Il se contenterait de continuer à vivre, non pas au sens large où on l'entend, non, seulement continuer d'exister, qui sait pour combien de temps. Faire seulement les gestes les plus primaires, ne plus penser, ne plus être, à peine apparaître.

Il allait sûrement prendre sa douche bientôt. Mais il marcha d'abord jusqu'à une autre installation, une envie l'avait pris. Ses pieds plantés dans le sol, il défit sa braguette, et évacua le produit de ses reins. Une intuition, un pressentiment, on ne sait quoi exactement, attira ses yeux vers le bas, à gauche. On y avait mis une petite poubelle, de celles qu'on met dans les salles de bain, juste là, entre la douche et les WC. Il se rhabilla et s'y pencha pour l'examiner de plus près. Il trouva et saisit l'objet, fin, long comme un stylo, fort de sens pourtant léger dans la main. Il le tourna, vit le symbole, s'effondra. Presque un sanglot, un cri étranglé s'échappa de sa gorge, un son terrible, et des larmes, le début d'une douleur qui ne guérirait jamais.

Il s'allongea sur le carrelage sale, ses entrailles se tordirent, l'univers dépérit.

Il fallut deux jours pour le convaincre de se lever. La première douche qu'il prit après ça lui fut donnée par sa mère. Les pleurs bruyants et continus ne cessèrent pas avant des heures.

Il garda l'objet dans la main jusqu'à ce qu'on lui enlève. Allongé sur le côté, il approcha sa main ouverte de ses yeux, pour tenter d'accepter une vérité atroce.

Dans sa main recroquevillée et tremblante, est posé un test de grossesse. Sur la partie la plus épaisse, il y a un écran. Celui-ci affiche deux traits. Leur signification est inscrite directement à l'encre noir à droite de l'écran. Un trait pour négatif, deux pour positif. Il n'y a pas de retour en arrière possible, pas d'échappatoire, pas de rebondissement extraordinaire. Il connaît sa mère, elle est trop prudente. Il se souvient même du jour où c'est arrivé. Il comprend cette moue inquiète qu'elle arborait hier le temps d'une minute. Son monde se désintègre, les images perdent leurs couleurs. Il ne voit plus rien à part la mort et la vérité. Léa était enceinte.

Fausse alerteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant