Chapitre 3

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C'était à une centaine de mètres de la Bastille, à peu près au niveau de l'hôpital des Quinze-Vingts. Comme je n'avais pas un compte en banque inépuisable, j'ai préféré m'y rendre à pied en longeant les quais de Seine plutôt que de prendre le métro.

Sur le chemin, je me suis demandé comment j'allais pouvoir expliquer ma venue. C'était quelque peu étrange de se rendre chez quelqu'un qu'on ne connaît pas. D'ailleurs, il se pouvait que le numéro soit faux, que ce soit une blague d'un goût douteux, que cette « Gabrielle » ne soit pas la fille de la Gare et qu'elle soit une parfaite inconnue qui n'avait pas demandé à ce que l'on donne son numéro à un nigaud comme moi. Je me perdais en hypothèses et conjectures. Pourtant, je finissais quand même devant le pas de la porte où était indiqué le nom de « G. Desvignes » sur le bouton de l'interphone.

J'hésitais. Avant de me décider, je me suis allumé une clope. Je parcourais la rue du regard. Ce n'était pas une artère très fréquentée aussi bizarre que cela puisse paraître étant donné que c'était à deux pas de la place de la Bastille. Cela ne me rassurait pas. Le simple fait d'imaginer le tête à tête avec cette fille me rendait anxieux.

Je levais les yeux sur l'immeuble et je cherchais des yeux un indice qui pourrait me dire si dans les fenêtres qui donnaient sur la rue, celle d'une certaine Gabrielle en faisait partie. Peut-être m'avait-elle déjà repéré, cachée derrière le reflet d'une vitre ou l'opacité d'un rideau.

J'ai secoué la tête pour évacuer cette pensée. J'étais vraiment un gamin. Je n'avais jamais été à l'aise, ne serait-ce qu'avec l'idée du beau sexe, et les années passant, malgré le fait que, sur les apparences, d'aucuns m'enviaient ma manière de l'aborder, rien ne s'était arrangé. J'expliquais cela par l'écho éternel de ma première fois plutôt castratrice avec celle que l'on a coutume d'appeler le « premier amour ». La vérité était que l'élue avait été un animal blessé, oscillant entre une attitude hautaine et un comportement complètement balisé par une éducation trop stricte inculquée par le couple d'instituteurs le plus rétrograde que j'ai eu l'occasion de connaître. Autant dire que l'expérience ne fut pas une grande réussite. Mais toutes ces considérations étaient hors sujet et bien entendu, une simple excuse à ma timidité maladive. La distorsion des choses faisait qu'on me prêtait pourtant l'image d'un garçon plutôt hardi en la matière.

J'en étais à ces considérations pseudo existentielles quand je me suis décidé. Je fais toujours les choses comme ça. A défaut de... Et en fait, je n'en ai pas eu le temps.

Je n'en ai pas eu le temps car elle est apparue dans l'angle de la porte. Elle avait changé de vêtements. Elle était chatoyante. Habillée comme un bonbon italien.

« Tiens ! Mon inconnu... » m'a-t-elle dit d'un ton qui ne laissait pas douter qu'elle n'était pas surprise.

« J'aurais pensé que tu m'aurais appelée d'abord. » a-t-elle poursuivi avec un sourire amusé et attendri.

Je ne savais pas quoi lui répondre. Alors j'ai tenté de balbutier deux, trois mots.

« En fait, je ne savais pas trop. Je ne suis pas très doué dans ces choses-là... Et puis. Je suis un peu à la ramasse là... Et... »

« Je sais. »

« Tu sais ? »

« Non... » a-t-elle continué en haussant les épaules et levant les yeux au ciel.

« Je ne sais pas... Mais... Si quand même... Je sais. »

Je ne comprenais rien et pourtant. Pour dire la vérité, je crois que c'est à cet instant-là précis, que j'ai commencé à la « voir ». Que j'ai commencé à tomber amoureux, je crois. Il n'y avait pas une raison particulière. C'était juste une sensation. Juste des sensations. Je me rappelle qu'elle portait une sorte de tee-shirt dos nu... Je crois que c'est comme ça que cela s'appelle. Rose et blanc agencées en couches à la manière d'une glace italienne. Non. Elle n'était pas jolie. Elle n'était pas belle. Elle n'était pas mignonne non plus. Elle était quelque chose d'autre, troublante. C'est un peu indéfinissable car à son image, viennent toujours s'ajouter d'autres éléments à mi-chemin entre la vision et l'imaginaire.

Et l'on ira nulle part, je te le prometsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant