Peut-être que, pour un couple ordinaire, ce genre de moment aurait entraîné une période de froid, d'hésitation. Peut-être que dans une certaine réalité, le fait de se retrouver en face de nos propres contradictions aurait dû induire une vraie discussion avec des confessions de part et d'autre, une envie salutaire de se faire pardonner nos insuffisances à chacun. Peut-être qu'avec des si, on peut mettre Paris en bouteille, et nous dedans aussi.
Mais de tout ceci, il n'en a rien été. Nous sommes partis du restaurant et nous avons erré dans les rues pendant quelques minutes. Je ne saurais trop décrire cette impression d'ivresse qui accompagne les noctambules dans les rues éclairées de Paname.
Gabrielle a fini par me confier ce que son père avait voulu lui annoncer. Elle avait un nouveau demi-frère, son cadet de quelques années. Elle m'a aussi retranscrit la réponse qu'il lui avait faite pour expliquer le pourquoi, il était parti. Oui, c'était lui qui était parti et il n'y avait pas d'excuse si ce n'est celle de la vie qui s'écrit ainsi et pas autrement. Non, il ne l'avait pas abandonnée. Non, il n'y avait simplement pas pensé. Il ne déconsidérait pas le fait d'être père mais il n'avait pas conscience de l'être. C'était de manière grossière ce qu'il avait dit. Le bonhomme était fichu de défauts mais au moins, il n'avait pas fui la question à la grande surprise de Gabrielle.
« Tu te rends compte qu'il y aura fallu attendre vingt-trois ans pour qu'au final, le malaise que j'avais envisagé, les mauvaises raisons que j'avais imaginées... Ben en fait, tout ça, c'est rien. »
« Tu ne devrais pas dire cela. Ce n'est pas rien. C'est juste que tu viens juste de toucher du bout des doigts, une vérité que certains n'arrivent jamais à mettre à jour en toute une vie. Il n'y a pas de gens bien à côté de gens mauvais, les uns qui feraient le bonheur et les autres qui seraient responsables de tous les maux. Concevoir les choses de cette manière, c'est comme de se mettre un bandeau devant les yeux. Refuser de voir que même avec les meilleurs intentions du monde, on peut être la bête noire de certains et vice-versa. L'important n'est pas de juger. Juste de dire la vérité. »
Gabrielle n'a rien répondu. Elle a jeté son regard ailleurs et s'est accordée quelques minutes. Puis elle m'a proposé d'aller boire un coup quelque part dans le quartier Montparnasse. C'était sûrement une mauvaise idée car elle travaillait le lendemain mais j'ai accepté. Sûrement qu'à cet instant, j'ai pensé qu'il était mieux de terminer autrement cette nuit. De faire, de parler de choses plus frivoles.
Je ne me souviens plus bien des détails, juste que nous sommes rentrés sûrement très tard et qu'après que nous soyons arrivés à la maison, nous n'avons pas dormi tout de suite. Je voudrais bien savoir décrire ce qu'était Gabrielle dans ces moments-là. Je n'ai jamais su si elle était mue par la volonté de vivre ou celle d'oublier. Je reste persuadé qu'elle était elle cette nuit-là, complètement décomplexée de tout mais pas désespérée. Elle empestait la vodka caramel mais cela lui allait tellement bien.
Je me rappelle l'avoir déshabillée, tellement elle était désordonnée dans tous ses gestes cette nuit-là. Le plus complexe a été le retrait de ses bottes car le reste a été un jeu d'enfant à côté. Je me souviens qu'elle riait en même temps qu'elle râlait de mes maladresses car je n'étais guère plus lucide qu'elle.
« Mes fesses ne sont pas un oreiller, Monsieur... Vous voulez peut-être que je vous donne le mode d'emploi ? » m'a-t-elle lancé avant de se retourner et me tirer à elle.
« Je ne voulais pas me restreindre à un seul usage, Mademoiselle... Mais si vous insistez... »
Ses mouvements étaient si imprécis qu'elle me griffait les bras et le dos mais je ne sentais rien. Nous sommes restés un moment à nous regarder dans les yeux dans les yeux avec nos plus beaux sourires niais. Nous n'étions pas assez ivres pour ne pas savoir ce que nous faisions et suffisamment pour ne pas se poser de questions. Je m'égarais dans sa nuque où j'aimais la respirer. Elle, m'enserrait de ses jambes comme pour m'empêcher de me perdre en chemin. Rester là sans interrompre la musique, ne jamais plus se dégager, se lâcher, garder le plus longtemps possible l'illusion que l'éternité est possible.
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Et l'on ira nulle part, je te le promets
RomanceParis - Un homme est seul et perdu. Une inconnue l'aborde, rien qu'un instant... Et le monde bascule, les repères se bousculent. Pour un bien ou un mal, c'est à travers les yeux du narrateur qu'on perçoit cette contradiction assumée. Teinté d'une tr...