Chapitre 12

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Je n'ai rien oublié. Tout est gravé là, dans mon sang, dans ma tête, dans mes mains. On ne retouche jamais un corps de la même manière après ça, mais je ne sais même pas pourquoi. Faut-il en tirer quelque chose, une espèce de morale qui ne vaut rien ? Je ne crois pas.

Les semaines se sont écoulées. J'ai continué de survivre avec la promesse de Gabrielle dans la tête : « Bientôt, tu sauras. ». J'ai vécu avec l'espoir niais que rien de tout ça n'était vrai. J'ai couché avec Kytie parce qu'elle me le demandait. J'ai continué à voir d'autres filles parce qu'elles étaient belles et qu'elles réveillaient en moi un souvenir qu'au petit matin, la fraîcheur de l'air évaporait.

« On ira nulle part, je te le promets. »

Cette promesse est aussi belle qu'elle est absurde. Elle pousse vers un absolu qui s'efface, une fois qu'on l'a prononcée. Ces mots esquissaient la silhouette de Gabrielle et tout ce qu'elle était : un vœu pieux, une envie d'ailleurs, une promesse de rien.

On fait l'amour avec des ombres désormais. Pourquoi sauver tout ça, pourquoi garder en soi ce devoir de mémoire ? Peut-être que les grandes gens connaissent la réponse, celles qui savent tout, celles qui ne font rien, celles qui inventent, écrivent sur un futur et oublient au fur et à mesure ce qu'elles ont fait. Je ne suis pas d'elles. Je ne suis qu'un instant comme Gabrielle.

*

Au printemps, un certain Mathieu a laissé un message sur mon répondeur.

« Je ne sais pas qui vous êtes, ni ce que vous étiez pour Gabrielle, mais je voulais juste vous dire que Gabrielle... Est décédée hier aux urgences cérébraux-vasculaires de la Pitié Salpêtrière. Peut-être que vous le saviez, ou que vous vous y attendiez, je ne sais pas. La cérémonie d'enterrement aura lieu jeudi au Cimetière du Montparnasse, à 13 heures. Je vous fais le message pour que vous le sachiez, au cas où. Au revoir. »

Au début je n'ai pas compris. Il a fallu que je réécoute une dizaine de fois avant de mettre un sens à chaque mot.

En d'autres circonstances, peut-être que la situation aurait porté à sourire. L'ironie de la vie est toujours froide et sans saveur. Je me suis dit que ce gars malgré tout ce que je pouvais lui reprocher, savait faire les choses. Il avait l'avantage d'avoir su. Moi, je n'ai fait que les réaliser en écoutant son message. Toujours le mauvais rôle, la mauvaise place.

« Bientôt, tu sauras. »

« Tu sais que ça ne durera que le temps que ça doit durer hein ? Y a pas à se faire d'illusion, tu sais ça ? Toi et moi, on n'ira nulle part, hein ? »

Maintenant que tu le dis. C'est évident oui.

« Je suis égoïste et ça, c'est comme si tu le niais. »

C'était ça, ta définition de l'égoïsme ? Je ne dis pas que ça ne l'était pas un peu mais. Je ne sais pas. De toute façon, je m'en foutais de ça.

Maintenant, on fait comment pour sortir de nos égos, de nos regrets ?

*

Je savais que je n'avais pas ma place pour assister à la cérémonie mais, jeudi matin, j'ai décidé d'y aller quand même. Je ne savais pas pourquoi faire, ni comment j'allais me présenter mais parfois, il y a de la place pour un petit parterre d'anonymes. Je ne tenais pas particulièrement à être là car même si c'est un peu ridicule à dire, je n'aime pas ce genre de commémoration. La plupart du temps au silence et au respect requis, viennent polluer le deuil, histoires de famille et autres jalousies. Mais dans ma tête, il y avait comme une exigence à faire ce pèlerinage.

J'ai demandé à Kytie si je pouvais emprunter sa voiture.

« Oui, oui, pas de problème... Ne me la casse pas, c'est tout... Faut que je file, je suis à la bourre au boulot. »

Et l'on ira nulle part, je te le prometsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant